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pourrait s’y arrêter. On pourrait admettre jusqu’à un certain point que ces projets, sans être justifiés par les circonstances ou par un mouvement sensible d’opinion, offrent du moins quelques avantages en compensation des dangers auxquels ils exposent la stabilité et le crédit des institutions. Évidemment cette constitution qu’on propose de réformer n’est point théoriquement un modèle. Elle a les défectuosités et les lacunes des œuvres improvisées dans les conjonctures difficiles, et il n’est point douteux qu’avec un peu de bonne volonté, on pourrait la compléter, la rectifier. Pour ce qui regarde le sénat particulièrement, on pourrait examiner s’il ne serait pas possible de mettre plus de cohésion dans la formation de la première de nos assemblées, d’étendre l’électorat sénatorial, de fonder sur une base plus large et plus forte l’autorité d’une institution modératrice, plus nécessaire encore peut-être au milieu des mobilités inévitables de la république que sous tout autre régime. Est-ce là ce qu’a rêvé dans ses méditations révisionnistes, ce que se propose M. le président du conseil ? Oh ! certes, il n’est pas de ces réformateurs qui veulent tout simplement abolir le sénat. Il avoue au contraire l’intention de le défendre ; il veut le fortifier et le consolider dans son existence comme dans son autorité ; mais comment entend-il réaliser cette sage pensée et aborder le problème ? C’est ici que commence l’obscurité. A en juger par les confidences qu’il paraît avoir faites à un correspondant d’un journal anglais sur la réforme prochaine du sénat, le chef du cabinet n’a peut-être pas encore bien fixé et éclairci ses idées. Il aurait exprimé ses vues sur deux ou trois points. Pour les inamovibles du Luxembourg, il les abandonne ; il veut les supprimer et les remplacer par des membres qui seraient également élus par le sénat, mais qui ne seraient nommés que pour neuf ans. Pour les attributions du sénat, M. le président du conseil voudrait en finir avec les conflits de compétence financière qui se renouvellent tous les ans à propos du budget. Il n’a pas l’intention d’enlever au sénat ses prérogatives, il veut « définir, délimiter » ces prérogatives. Il ne serait pas défendu au sénat de faire des objections, même de proposer des amendemens, à la condition pourtant que le dernier mot appartînt toujours à l’autre chambre. Si nous comprenons bien, c’est là ce qu’on appelle, pour le moment, la « révision limitée. » L’inamovibilité d’aujourd’hui serait remplacée par une élection pour neuf ans, — ce qui mettrait périodiquement les nouveaux sénateurs dans la dépendance de leurs collègues, — et, pour les attributions de l’assemblée du Luxembourg dans les affaires de finances, il serait désormais irrévocablement établi que le sénat fait des discours et ne décide rien. De sorte que, lorsque M. le président du conseil touche à la composition du sénat, on ne voit pas bien s’il entend le fortifier ou l’affaiblir, et que, lorsqu’il touche à ses attributions, on voit trop clairement qu’il veut le réduire à l’impuissance.