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un air de composition dramatique. Ces personnages étaient peints avec assez d’art pour qu’ils parussent avoir des caractères, et dans assez d’attitudes pour qu’on crût voir en chacun d’eux les divers états d’une crise, et dans assez de rencontres pour qu’on imaginât une lutte qui eût son commencement, son milieu et sa fin. Mais prenons-y garde : l’action du roman est-elle gouvernée par ces caractères ou bien est-ce elle, au contraire, qui les détermine en commandant les physionomies d’où le spectateur les augure ? M. Alphonse Daudet, en sa connaissance du cœur humain, imagine-t-il un roi et une reine qui agissent selon leur nature, ou n’est-ce pas plutôt qu’il les suscite exprès pour agir d’une certaine manière et concourir aux fins d’un certain plan ? Toute la question est là : dans le premier cas, ce roi et cette reine sont des personnes qui, transportées à la scène, y prendront une vie plus énergique et s’attacheront notre intérêt ; dans le second, ce ne sont que des figures pour décorer un poème, et lorsqu’au feu de la rampe les artifices les plus délicats du peintre se seront évanouis, aucune de ces figures ne subsistera, mais toutes les sympathies se dissiperont : l’événement ne l’a que trop prouvé.

C’est que ce livre, en effet, plutôt qu’un roman est un poème, et presque un poème fantastique ; plutôt que l’histoire d’un roi et d’une reine, c’est le rêve de la fin des monarchies. Si M. Daudet me déclare qu’il a conçu la première idée des caractères de Christian et de Frédérique avant de trouver leur qualité sociale et leur milieu, assurément je le croirai. Mais à peine avait-il décidé que Christian et Frédérique seraient roi et reine et déchus, et qu’ils traîneraient leur exil dans la seconde moitié du XIXe siècle, aussitôt, des apparitions se sont levées autour de lui pour étourdir sa conscience d’observateur : c’étaient des royautés mortes qui l’enfermaient dans leur danse macabre ; c’était le songe que Frédérique elle-même raconte au commencement de la pièce… N’a-t-elle pas vu tout un cortège de rois et de reines qui, à mesure qu’ils marchaient, s’en allaient en fumée ? M. Paul Delair, à qui M. Daudet a laissé le soin de mettre son œuvre à la scène, a inventé ce songe, apparemment, pour en marquer l’idée maîtresse, sinon l’idée première ; M. Daudet lui-même s’était aperçu de l’empire qu’avait pris cette idée lorsqu’ils choisi ce titre général : les Rois en exil ; s’il eût voulu que l’annonce convînt encore plus exactement à ce qui suit, il aurait dû mettre : Comment les royautés finissent.

Voilà ce qu’il s’agit de montrer, depuis ce premier tableau où l’on aperçoit, par les fenêtres ouvertes, les Tuileries en ruines, jusqu’à ce dernier où le petit duc de Zara se meurt presque ; et pourquoi se meurt-il, cet enfant, sinon parce qu’il est fils de roi et pour ne pas être roi lui-même, attendu que, de par le décret du poète, — ou plutôt du visionnaire, — la royauté est abolie ? C’est toute la raison que