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maladie qu’il croyait dangereuse, il faisait un testament auquel, le 25 juin 1670 et le 13 février 1682, il ajoutait plusieurs codicilles. Malgré ses habitudes de simplicité et bien qu’à raison du prix élevé qu’avaient atteint ses œuvres, il eût, par un labeur opiniâtre, gagné des sommes considérables, le grand paysagiste ne jouissait que d’une aisance bien modeste : 10,000 écus environ, suivant Baldinucci, qui attribue la modicité de ce chiffre à la générosité du peintre, à ses libéralités répétées vis-à-vis de sa famille. C’est entre les membres de cette famille qu’il partage son bien. La plus petite part ira aux parens restés à Chamagne, mais tous recevront quelque argent[1] ; le reste est attribué à deux des neveux qui vivaient à Rome auprès de leur oncle, Jean et Joseph, ce dernier étudiant en théologie, jeune homme du meilleur monde, giovane costumatissimo, nous dit Baldinucci, qui tenait de lui la plupart des informations qu’il nous a transmises sur Claude. A côté des noms de ces deux neveux, le testament porte celui d’une jeune fille dont seul il nous révèle l’existence. Qu’était cette Agnès, cette fille adoptive du maître, qui, née vers 1652, habitait aussi sa maison, y avait été élevée et entourait de soins son père adoptif ; « mia zitellar,.. cresciuta ed allevata in casa, » ainsi qu’il s’exprime lui-même à son égard ? Était-ce, comme il le dit ailleurs, une pauvre enfant recueillie « par charité, » ou plutôt ne tenait-elle pas au peintre par des liens plus étroits, fruit de quelque amour mystérieux et tardif ? On serait tenté de le croire en voyant les avantages qui lui sont faits, les précautions prises pour assurer son avenir, soit qu’elle songe à se marier, soit qu’elle entre en religion. Mais, en l’absence de toute indication positive, toutes les suppositions qu’on pourrait faire à son sujet seraient également possibles et vaines. C’est entre Agnès et les deux neveux vivant à Rome qu’est distribué le meilleur de la fortune de Claude, le montant de son avoir et ses diverses créances sur les lieux de mont[2], pour lesquelles il avait fallu rectifier l’orthographe souvent altérée du nom du déposant.

Le testament d’ailleurs débute par une profession de foi religieuse et ce bon catholique se recommande à la miséricorde de Dieu, ce par l’entremise de la vierge Marie, de son ange gardien et de tous les saints du paradis. » Il laisse une somme assez ronde, mais qu’on ne devra pas dépasser, à l’église de la Trinité du Mont pour les

  1. La famille de Chamagne n’avait eu garde évidemment de se laisser oublier par Claude quand elle avait appris ses succès, les gains qu’il amassait par son talent. Mais la généalogie de tous ces parens lorrains semble un peu embrouillée par le testateur et les dispositions parfois contradictoires de ses codicilles successifs donnèrent lieu, par la suite, à d’interminables démêlés devant la justice.
  2. Ces lieux de mont étaient des sortes de banques municipales qui constituaient alors un mode de placement fort usité et assez avantageux.