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représentes dans ce recueil. La présence au Livre de vérité d’un dessin reproduisant un tableau donné comme étant du Lorrain ne justifierait d’ailleurs aucunement cette attribution, car rien ne prouverait si ce tableau est l’original primitif ou bien une copie postérieure. En faisant ces dessins, le maître n’a donc pu avoir la prétention de garantir par ce moyen l’authenticité de ses œuvres dispersées à travers le monde. Mais s’il en est ainsi, n’y a-t-il pas lieu de distinguer parmi eux ceux qui, exécutés d’aprés des tableaux terminés, étaient destinés à en conserver le souvenir et ceux qui peuvent être considérés comme des esquisses, des projets ayant précédé ses tableaux ? La question a son importance et il nous semble, comme à M. Meaume, que cette hypothèse est non-seulement vraisemblable, mais qu’elle est confirmée par une comparaison attentive des dessins avec les tableaux. Cette étude faite pour plusieurs d’entre eux nous a révélé des modifications assez importantes introduites au cours de l’exécution par l’artiste, qui évidemment ne se croyait pas lié par son esquisse au point de s’interdire toutes les améliorations qu’une intelligence plus complète de son œuvre pouvait lui suggérer. Les modifications pour certains tableaux sont parfois telles qu’il est bien difficile de les identifier avec les esquisses du Livre de vérité et qu’il est permis d’hésiter entre plusieurs d’entre elles. On conçoit dès lors qu’un double intérêt s’attache à ces dessins, d’abord à cause de leur valeur propre, et aussi, — ce qu’on n’a peut-être pas assez remarqué jusqu’ici, — à cause des révélations qu’ils peuvent nous fournir sur la marche suivie par Claude dans son travail, sur la vision plus ou moins claire de l’œuvre définitive entrevue par lui dès ces premiers linéament qu’il en trace, sur les changemens plus ou moins considérables qu’il y apporte, enfin sur les transformations qu’a subies une même donnée dans les répétitions ou les variantes qu’elle a inspirées à l’artiste.

D’une manière générale, ces dessins diffèrent sensiblement de ceux que Claude a faits en face de la nature. Plus posés, moins imprévus, ils s témoignent en faveur de la netteté de l’esprit du maître et de la clairvoyance de ses conceptions. La composition s’y montre toujours franchement arrêtée dans sa structure, dans sa silhouette, dans ses valeurs surtout, car ce point pour lui est essentiel. Quant aux procédés qu’il emploie, ce sont ceux-là mêmes auxquels il recourt pour ses études d’après nature. Ils comportent à la fois une grande largeur dans l’effet, dans la répartition des masses, qu’il indique par des teintes plates d’encre de Chine ou de bistre qui accusent les principales différences des plans, et aussi beaucoup de précision dans les contours et les détails de la végétation, précision que la plume ou la pointe du crayon lui permettaient d’obtenir. A-t-il à remanier quelque partie de son esquisse, il efface