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Sandrart le quitta pour se rendre à Nuremberg, Claude avait déjà quelque célébrité, et une aisance relative avait succédé à la gêne dès premiers temps. Le portrait que l’artiste allemand fit de son ami avant de se séparer de lui et qu’il a gravé dans son Académie de la peinture nous donne l’idée d’une nature énergique et vigoureuse. Le regard semble un peu craintif, mais l’expression honnête et franche ; le visage carré est d’une charpente solide ; des cheveux épais et rebelles, noirs comme étaient ses yeux, ombragent son large front. L’aspect général respire la force et la santé.

Sandrart parti ; notre peintre avait senti son isolement. Résolu à rester célibataire, il avait cependant besoin d’avoir à son foyer désaffections, une famille. En 1636 ; il se décida à faire venir à Rome un de ses neveux pour tenir sa maison. S’étant déchargé sur lui du soin de ses affaires, il pouvait désormais se livrer tout entier à son art. Nous trouvons une preuve de la vogue dont il jouissait dans la contrefaçon que déjà, en 1634, Bourdon avait faite d’un de ses tableaux. Il est certain que, sans parler de cette tentative, le succès de Claude avait provoqué de nombreux imitateurs. S’il fallait en croire Baldinucci, le désir de démasquer les fraudes auxquelles il était exposé lui aurait alors inspiré l’idée de conserver le dessin de tous les tableaux sortant de son atelier, afin d’en certifier l’authenticité. Telle serait l’origine du précieux recueil de deux cents dessins, connu sous le nom de Liber veritatis, nom sous lequel l’éditeur Boydell en fit paraître en 1777 les reproductions assez médiocrement gravées à l’aquatinte par Earlom. Bien que très imparfaites, ces reproductions sont cependant fort utiles à consulter. Quant au recueil original dont la France aurait pu, au siècle dernier, s’assurer la possession, il est maintenant, on le sait, la propriété du duc de Devonshire et se trouve dans son beau domaine de Chatsworth, en Angleterre. Après M. Léon de Laborde, qui en avait déjà donné dans les Archives de l’art français une description détaillée, Mme Pattîson, à son tour, vient de faire une étude minutieuse des dessins qui s’y trouvent réunis.

Disons d’abord que rien ne confirme l’indication toute gratuite de Baldinucci que nous devons y voir une sorte de registre de l’état civil destiné à attester la paternité des œuvres reproduites. Ces dessins, en effet, ne sont ni classés chronologiquement, ni même datés pour la plupart[1], et un certain nombre d’entre eux, — cinquante environ, — ne portent au revers aucune mention des destinataires des tableaux. D’autre part, il est positif que plusieurs des paysages de Claude, et dès plus remarquables, ne sont pas

  1. Sur dent cents dessins, cent trente-cinq sont sans date. Les dates spécifiées sont comprises entre 1648 et 1680.