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Après avoir établi avec soin son esquisse et massé largement l’effet à l’aide du crayon noir ou blanc, il excellait à rendre par des colorations harmonieuses l’aspect de la campagne ensoleillée, « les montagnes, les cavernes, les terribles chutes du Tibre, » en un mot, tous les accidens pittoresques de cette riche contrée. C’étaient là, pour les tableaux futurs, des ressources d’autant plus précieuses que quelques-unes de ces études étaient poussées fort loin. Claude y tenait beaucoup, et, plus tard, il ne pouvait se décider à se dessaisir de l’une d’elles, que Clément IX lui proposait d’acquérir à un prix très élevé. Cette étude, que l’artiste avait, peinte pour lui-même, à la villa Madame, il se plaisait à la consulter souvent, à y puiser de sûres indications « pour la variété des arbres et des feuillages. » Il retrouvait, en face des travaux de sa jeunesse, le souvenir de ces chaudes admirations qu’il avait éprouvées autrefois au contact de, la nature, alors que, plein de santé et d’ardeur, il pouvait impunément renouveler ses bonnes séances de travail en plein air.

Grâce à un labeur si persévérant, le talent du Lorrain s’était mûri. Il avait appris à se servir de tous les matériaux ainsi amassés, non pour des reproductions serviles auxquelles il répugna toujours, mais pour des tableaux dans lesquels il les combinait entre eux suivant le but qu’il se proposait. Bien rarement, en effet, on trouverait chez lui des vues, des portraits reconnaissables de tel ou tel lieu : il faut même un examen assez attentif pour démêler dans les compositions où il les a utilisées la trace formelle de ces études par lesquelles l’artiste avait surtout en vue d’accroître son instruction.

Le nom de Claude, déjà bien connu de ses confrères, s’était peu à, peu répandu parmi le public. Vers 1634, il était assez célèbre pour que Sébastien Bourdon, à peine débarqué à Rome, profitant de son adresse singulière à contrefaire les ouvrages des autres, songeât à reproduire un tableau qu’il avait vu sur le point d’être terminé dans l’atelier du maître. L’ayant exposé comme s’il était de celui-ci, il surprit le jugement des connaisseurs jusqu’à ce que Claude lui-même, ému du bruit qui se faisait autour de cette œuvre, la vît et découvrît la fraude[1].

Malgré les succès de Claude, et bien que certainement il eût déjà peint un assez grand nombre de tableaux, les premières œuvres datées que nous connaissions de lui sont ses eaux-fortes, dont il convient de parler brièvement ici. Son habileté à se servir de la plume

  1. Ces procédés assez indélicats de Bourdon, renouvelés vis-à-vis de Pierre de Laar, de Poussin et de plusieurs autres peintres, lui attirèrent naturellement des ennemis et, ainsi que le remarque Mme Pattison, ne furent sans doute pas étrangers à-l’obligation où il se trouva bientôt de quitter l’Italie pour échapper aux poursuites qui allaient être dirigées contre lui, à la suite de ses démêlés avec un peintre nommé de Rieux, qui l’avait dénoncé comme hérétique.