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un luxe excessif dont l’imitation était une charge pour ceux qui ne s’étaient pas enrichis. « Cette imitation, c’est encore Forbonnais qui l’affirme, — est devenue générale dans tous les temps et dans tous les pays, lorsqu’un certain nombre d’hommes sans industrie ont trouvé le secret d’accumuler promptement de grands trésors ; ce qui n’est point acquis avec peine se dépense avec ostentation, et l’ostentation est le charme des âmes vulgaires. » Vainement, un édit fut publié contre le luxe en 1700 : il fut bientôt révoqué en partie et ne fut pas exécuté. L’histoire fournit de nombreux exemples de ces lois somptuaires, et toujours elle atteste leur impuissance. Depuis 1700, la continuation des affaires extraordinaires, le trafic des monnaies et des effets royaux, excité par les variations continuelles de leurs cours, avaient encore accru l’opulence et le faste des banquiers et des traitans. Ces richesses, nées de ce qui avait appauvri tout le monde, firent naître l’envie. Ce fut un funeste exemple qu’on s’empressa de suivre quand l’occasion parut favorable : elles inspirèrent à toute la nation, à la noblesse, à la bourgeoisie, au peuple, la pensée qu’après tout il était facile, aux momens de crises, de s’enrichir dans les affaires par le commerce du papier, par l’agiotage. Les abus du crédit préparèrent ainsi et facilitèrent les excès auxquels la spéculation se livra avec une sorte de frénésie au commencement du règne de Louis XV.


Mais, quels qu’aient été ces abus du crédit, le désordre financier, les revers de nos armes pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg et pendant celle de la succession d’Espagne, le règne de Louis XIV est resté grand devant l’histoire et devant la postérité. Recueillant les fruits de la politique du génie de Richelieu et de l’habileté de Mazarin, ce prince a complété la formation du territoire national en nous assurant la possession du Roussillon au midi, de la Franche-Comté et de l’Alsace à l’est, de la Flandre au nord, et en protégeant, par les forteresses de Vauban, notre frontière, plus menacée de ce côté. Les noms de Corneille, de Racine, de Molière, de La Fontaine, de La Bruyère, de Descartes, de Pascal, de Fénelon, de Bossuet, sont restés inséparables du sien. La gloire des lettres françaises, retentissant dans toutes les cours et chez tous les peuples, donnait à notre langue une prépondérance qui en faisait la langue diplomatique de l’Europe. Après quelques années, la France ne s’est plus souvenue que de ces grandes satisfactions données à la sécurité et à la fierté nationales : elle a oublié tout le reste.


AD. VUITRY.