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Tout porte à croire que l’état ne réalisa qu’un bénéfice minime, et il éprouva le contre-coup de l’ébranlement donné aux affaires par la variation des monnaies, le contre-coup de la ruine et de la misère de tous. Ce fut assurément l’une des causes principales qui, de 1689 à 1715, firent décroître le produit brut des revenus de 136 millions à 118.

On ne peut étudier ces perturbations monétaires dans leurs détails techniques, dans leurs résultats financiers, dans leurs conséquences économiques, dans leurs funestes effets sur la prospérité publique, sans être invinciblement ramené aux principes élémentaires et fondamentaux de la science et du régime des monnaies qu’Aristote avait formulés le premier, que saint Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, et Nicole Oresme, au XIVe, avaient remis en pleine lumière, et, qu’au moment où la France les oubliait, Locke et Newton faisaient reconnaître et consacrer en Angleterre.


III. — LES EFFETS ROYAUX ET LA DETTE DE L’ÉTAT À LA MORT DE LOUIS XIV.

Non-seulement la variation des monnaies n’enrichit pas l’état, mais elle fut l’origine d’expédiens de trésorerie qui devinrent désastreux. Les billets de monnaies, qu’on a vu créer en 1701 pour faciliter la réforme monétaire, furent suivis de billets émis par une caisse des emprunts, de billets souscrits par les receveurs et les fermiers généraux, des billets d’une caisse spéciale, la caisse Legendre. À partir de 1706 ou 1707, les trésoriers de l’extraordinaire des guerres et de la marine firent en outre accepter leurs billets par les fournisseurs de l’armée quand ils n’avaient pas reçu du trésor des fonds suffisans pour les payer, ce qui arrivait souvent. Tous ces billets, émis avec l’intervention du gouvernement et par ses ordres, étaient des effets royaux, ce qu’on appelle aujourd’hui des bons du trésor : ils apportèrent à l’état le périlleux secours d’une dette flottante[1].

La première émission de billets de monnaies, en 1701, paraissait devoir être limitée et temporaire. Le directeur de la Monnaie de Paris n’avait pas les fonds nécessaires pour payer les anciennes espèces qui lui étaient apportées : afin que le prix pût en être

  1. Les détails qui suivent ont été, en partie, extraits avant 1870, d’un manuscrit intitulé Histoire des effets royaux, que possédait la bibliothèque des finances et qui a été détruit par l’incendie du ministère ; ils ne s’écartent pas d’ailleurs des renseignemens qu’on trouve, à cet égard, dans les Comptes de Mallet et dans les recherches de Forbonnais.