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parvenir. Dans le monde rationnel, l’amour veut aussi se faire un avec l’objet aimé, mais il ne s’identifie pas avec lui. Qui de nous n’a jamais failli ? Le sage, l’artiste et le poète s’approchent indéfiniment du beau, du vrai et du bien, mais il y a impossibilité de mixtion entre la vérité et l’amour ; dans ce cas, aussi peu satisfait que dans le premier, le désir du bonheur n’est pas encore accompli, et les soupirs de l’amour s’adressent encore à quelque autre chose ; ils s’adressent à l’unité absolue… Ce Dieu n’est pas de ce monde ; l’unité absolue ne sera jamais trouvée dans la sphère des phénomènes ; il faut briser cette sphère et s’élever jusqu’à l’être qui la soutient et qui ne s’y montre jamais. Voilà pourquoi les jouissances les plus vives sont toujours suivies d’un retour pénible sur nous-même et de la conscience profonde et triste de notre impuissance : omne animal triste,.. et, dans l’autre sphère, tout savant est triste après ses méditations. Il a sans doute approché de la vérité ; mais c’est pour connaître l’abîme infranchissable qui l’en sépare. »

L’idéal de l’amour n’est donc pas seulement, comme pour Platon, l’union, la mixtion, le rapprochement de deux moitiés d’un même être qui cherchent à se rejoindre. C’est quelque chose de plus : c’est l’unification, l’ἕνωσις alexandrine, l’identité finale avec la substance absolue : telle est la doctrine de la leçon primitive, dont le texte publié ne nous donne que la moitié. Cette même unité finale est également l’idéal de la liberté, comme on le voit par la leçon suivante. En voici les passages les plus significatifs :

« Le moi peut d’abord avoir pour objet quelque chose qui n’est pas lui ; mais, puisqu’il est libre, il peut se prendre lui-même pour objet ; il peut se contempler lui-même. La lutte cesse alors parce qu’il n’y a plus de diversité ; le principe est revenu à lui-même. Les deux termes extrêmes sont donc, d’une part, le moi mêlé au non-moi et tombé dans la plus basse dégradation, près de cesser d’être moi ; de l’autre, le moi ramené à lui-même, devenu à lui-même sa loi, la liberté absolue. Entre ces deux pôles il y a des degrés intermédiaires… L’esprit en soi n’est ni dans le temps, ni dans l’espace ; mais quand il commence à entrer dans le temps et dans l’espace, son action, qui tombe sur le variable, devient elle-même variable… L’esprit, quand il est tombé dans la nature, gémit sur sa chute… Le règne de l’esprit n’est pas de ce monde ; le règne de l’esprit est dans l’esprit… Lorsque l’homme retourne à son essence, que fait-il ? Il retourne à la liberté absolue… La morale n’est que le retour à la liberté absolue. Le point de départ est le sacrifice, ou la séparation violente de la nature extérieure et de l’activité. Le but est de se faire un avec son principe… Une force sans formes, sans bornes, est une force absolue ; la puissance sans formes, l’activité sans bornes, c’est Dieu même… L’idée d’un principe actif BOTS du temps et de