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Diderot, d’Alembert, Condillac l’étaient encore moins ; Descartes lui-même ne l’était pas beaucoup. Il faut encore remonter jusqu’à Malebranche pour ressaisir la tradition qui vient se renouer à Victor Cousin. Encore le platonisme de Malebranche est-il un platonisme très différent de celui de Cousin, un platonisme mystique, un peu sec, dénué du sentiment de la nature, de l’amour des beaux-arts, de l’amour de la vie. Au contraire, Victor Cousin n’avait pas le tempérament mystique. C’était une nature concrète et vivante, qui, tout en plaçant dans le divin la source de l’idéal, le cherchait cependant plus près de l’homme dans la science, dans l’art, dans la liberté politique et sociale, eu un mot dans la nature et dans la vie. C’est toute la différence du XIXe et du XVIIe siècles. Néanmoins le fond de la doctrine vient en droite ligne de Platon. La pensée même du cours, la trilogie du vrai, du beau et du bien, était une pensée platonicienne. Cette formule était une véritable trouvaille ; elle est entrée depuis dans la raison commune ; nous n’avons plus besoin de l’apprendre, nous la recevons, sans y penser, de tout ce que nous lisons, de tout ce que nous entendons. Pour mesurer ici la valeur du service rendu, sans engager cependant la question de fond, rappelons que l’esprit platonicien est un élément essentiel de l’humanité, comme l’esprit stoïcien, l’esprit chrétien, l’esprit cartésien. Chez les anciens, c’est le platonisme qui, dans la dissolution universelle des doctrines et des croyances, a rendu quatre siècles de vie à la pensée grecque. Au XVe et au XVIe siècles, après dix siècles de barbarie et de sécheresse scolastique, c’est le platonisme qui a donné l’essor à l’esprit moderne. Après le XVIIIe siècle, après la lassitude où l’on était des excès du matérialisme et des pauvretés du sensualisme, c’était du platonisme que l’esprit avait besoin pour recommencer à penser. A une société nouvelle sortie des ruines de la révolution il fallait un idéal. Depuis, il s’est fait une réaction en sens inverse ; on s’est lassé de l’idéal, et on a éprouvé le besoin de se retremper dans le réel. Peut-être cela même a-t-il eu sa raison ; mais, au temps dont nous parlons, la notion d’idéal était encore toute fraîche et toute neuve ; l’on n’en avait point fait abus : elle enflammait les âmes, et ce fut elle qui attira autour de la chaire du jeune professeur un concours d’auditeurs tel qu’on n’en avait pas vu depuis Abélard.

Après avoir posé la triple idée du vrai, du bien et du beau comme l’objet idéal de la volonté, de la sensibilité et de la raison, Cousin était encore fidèle à la pensée platonicienne en rattachant ces trois idées à Dieu comme à leur substance commune. Ce sont les trois formes de l’absolu, les trois manifestations de l’absolu dans la raison humaine. C’est par là que sa doctrine se distinguait, disait-il, de celle des mystiques. Le mysticisme prétend connaître Dieu ou