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l’empereur une assez ingrate mission. Il s’agissait de faire comprendre au prince que, la Bavière comme la Bohême se retrouvant maintenant placées sous la main de leurs anciens possesseurs, loin de mettre en question cette restitution réciproque, il convenait de la prendre pour base de prochaines propositions de paix. D’ailleurs, la France, épuisée, ne voulait plus faire, en Allemagne du moins, de nouvel effort, et il n’y fallait plus compter. Dans cette situation, ce que l’empereur avait de mieux à faire et ce que Belle-Isle devait obtenir de lui, c’était de suivre le conseil que plusieurs princes allemands ne cessaient de lui donner, c’est-à-dire : de s’attribuer, par un rescrit solennel, le mérite du renvoi des troupes étrangères, en remettant à un congrès ou à la diète le soin de régler le litige subsistant entre lui et Marie-Thérèse. On l’engageait même à réduire ses prétentions aux moindres exigences possibles, et on lui indiquait qu’il devrait se contenter de réclamer quelques districts séparés de la masse des possessions autrichiennes, comme, par exemple, la province qui, située sur le bord du Rhin, portait le nom d’Autriche antérieure et dont la ville de Fribourg-en-Brisgau était la capitale[1].

En prenant connaissance de ce plan politique, très différent sans doute de celui qu’il aurait conseillé et sur lequel on ne prenait pas la peine de le consulter, Belle-Isle ne put se méprendre ; il comprit que, pendant qu’il était séparé du monde entier, des influences nouvelles avaient prévalu à Versailles, et qu’en rentrant sur ce théâtre mobile, il ne reconnaîtrait plus ni les décorations, ni les acteurs. Tout était changé, en effet ; Fleury allait cesser de régner sur la France, et Mme de Mailly ne régnait déjà plus sur le cœur du roi.


Duc DE BROGLIE.

  1. Amelot à Belle-Isle, 14 janvier 1743. (Correspondance de Bavière. Ministère des affaires étrangères.) — Mémoires de Belle-Isle, dernier volume. — Ce recueil se termine ici, Belle-Isle n’ayant pas poussé plus loin le récit de sa vie, et d’ailleurs, n’ayant plus été mêlé depuis lors à des négociations importantes.— C’est ici que se place, dans la collection imprimée des dépêches du ministère de la guerre (t. VI, p. 294) un écrit intitulé : Mémoire, en forme de réflexions, que beaucoup d’historiens ont attribué à Belle-Isle et qui lui a attiré de justes critiques, parce qu’on y trouve des idées entièrement différentes de celles qui avaient dicté jusque-là la conduite du maréchal et qu’on y voit une preuve d’inconstance et de légèreté d’esprit. Mais rien n’autorise à penser que ce mémoire soit de Belle-Isle, et on rencontre entre autres, à la page 301, un éloge du maréchal de Broglie qui, certainement, ne s’est jamais trouvé sous sa plume. (Voir Jober, Histoire de Louis XV, t. II, p. 293-298)