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Je prie qu’on me pardonne ce rapprochement : je sais que la sévère discipline de l’histoire doit se les interdire et qu’ils pèchent d’ailleurs toujours par quelque côté. Qu’y faire cependant ? La force de certaines situations l’emporte, et les comparaisons reviennent involontairement sous la plume de l’écrivain, comme à la pensée du lecteur. Avouerai-je, par exemple, que dans le cours de ces études, rencontrant parfois, entre des dépêches insignifiantes, de petites lettres, datées de Prague, écrites d’un caractère imperceptible sur un papier frêle et transparent, je me suis arrêté saisi d’une soudaine émotion ? L’illusion pour un instant a été complète. J’ai cru tenir entre les mains quelqu’un de ces envois furtifs qui nous arrivaient naguère, sous une forme toute semblable, de Metz ou de Paris pour porter dans nos familles l’espérance ou le deuil, et j’ai vu la feuille jaunie se mouiller, malgré moi, d’une larme arrachée par le souvenir d’angoisses patriotiques et d’alarmes paternelles ! Combien on sent dans de pareils momens que, quoi qu’on fasse et quel que soit l’effet prétendu des révolutions, l’histoire d’hier ressemble toujours à celle d’aujourd’hui ; et quel lien intime, quelle solidarité étroite, unissent entre elles les diverses générations d’un même peuple ! Combien paraît vaine et téméraire l’entreprise d’étroits sectaires, qui, taillant dans la réalité des faits au gré de leurs passions et de leurs préjugés, s’obstinent à nous faire plusieurs Frances, une France de l’ancien et une France du nouveau régime, afin d’exalter l’une en dénigrant l’autre ! Non, ces mutilations sont impies : une grande nation est un être chéri et glorieux, dont la vie se prolonge à travers les siècles, et, dans le passé, comme dans le présent, tout ce qui la grandit ou l’honore, comme tout ce qui l’afflige ou la blesse, vient toucher les mêmes fibres du cœur chez ses véritables enfans !

Après quelques jours de séjour à Egra, Belle-Isle se transporta avec tout son état-major à Amberg, sur les confins du Palatinat, point central d’où il pouvait également diriger son armée vers la Bavière, s’il recevait l’ordre de faire sa jonction avec celle de Broglie, soit vers la France, si le parti était pris de l’y rappeler. Les instructions qui lui arrivèrent de Versailles, dans les premiers jours de janvier, conçues en des termes assez sobres de remercîmens, ne lui prescrivirent ni l’une ni l’autre conduite. On lui enjoignit de partager son armée en deux corps, les bataillons les plus valides devant aller se placer sous les ordres du maréchal de Broglie, tandis que ceux qui avaient besoin de soins et de repos viendraient les chercher dans leur patrie. Lui-même, le plus malade de tous, fut autorisé à rentrer en France pour rétablir sa santé ; mais seulement, après avoir passé par Francfort pour y remplir auprès de