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portant les fournitures nécessaires à leurs divers besoins. « Ainsi, dit Belle-Isle, j’étais toujours en état de faire face en force, à la tête, à la queue et le long de ma colonne, parce que, faisant à droite ou à gauche, suivant le côté où se présenterait l’ennemi, je me trouvais toujours en bataille, mes armes mêlées, cavalerie, infanterie et canons, couvrant mes équipages, que je faisais mettre derrière, » C’est, à très peu de chose près, la disposition même dont Folard lui avait envoyé, au bas de sa lettre, un petit dessin à la plume, ; on peut y voir, en effet, derrière une double avant-garde, de grosses colonnes d’infanterie dont le centre est occupé par des transports et des bagages, et dont les lignes sont entrecoupées de loin en loin à divers intervalles par des détachemens de cavalerie et des pièces de canon. Il est rarement arrivé, je crois, que la théorie opérant à de telles distances sur des données si incertaines, ait servi de guide aussi exactement à la pratique[1].

La marche ainsi réglée se poursuivit toute la journée du 17 sans rencontrer de résistance ; vers le soir seulement, un corps de hussards se présenta à l’arrière-garde, qui, faisant front immédiatement, repoussa les assaillans sans difficulté et les eût emmenés prisonniers sans un brouillard qui protégea leur fuite. Cette fausse attaque était l’effet d’une méprise de Lobkowitz, qui, averti seulement l’après-midi qu’on apercevait des mouvemens dans la campagne, s’était imaginé avoir affaire seulement à un détachement poussant une pointe pour faire des fourrages et avait pensé en venir à bout à bon marché. Grâce à cette erreur, qui dura jusqu’au lendemain, huit lieues purent être faites le premier jour et six le second, sans difficulté sérieuse, et, chose plus importante, c’était la traversée complète de la plaine qui entoure Prague, et où une attaque à fond, faite en pays découvert, aurait été particulièrement à redouter. On arrivait sain et sauf, le 18 au soir, en vue de la chaîne de montagnes qui borde de ce côté la frontière occidentale de la Bohême. Les troupes campèrent cette nuit-là, comme la précédente, en front de bandière, c’est-à-dire sans rompre leur ordre de marche et en se tenant prêtes à toute alerte.

Rien n’était sauvé, en effet, car l’ennemi, enfin averti, et pouvant forcer sa marche sans être encombré de bagages, devait regagner aisément le terrain perdu. Aussi, sans se faire illusion sur le péril, mais sans s’émouvoir, Belle-Isle écrivait-il, le 18 au soir :

  1. Le récit de la retraite de Prague a été fait plusieurs fois par Belle-Isle. Le compte-rendu le plus exact et le plus complet est celui qu’on trouve dans le recueil que j’ai déjà cité : Campagnes des maréchaux de Broglie et Belle-Isle, t. VII, sous ce titre : Lettre du maréchal de Belle-Isle à un des ministres du roi dans une cour étrangère, Amberg, 6 janvier 1742. Cette pièce se trouve aussi insérée dans les Mémoires du duc de Luynes.