Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/242

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séparation momentanée des chambres pendant les vacances de Noël ; elle se rouvrira inévitablement aux premiers jours de janvier dans des conditions qui ne laissent pas d’être assez graves. Il est désormais très vraisemblable que M. Sagasta et ses amis, qui disposent de la majorité dans le congrès, refuseront de suivre le cabinet jusqu’au bout de ses projets de réforme. Ils n’admettent ni la révision constitutionnelle telle que la médite la gauche dynastique, qui est aujourd’hui, au pouvoir, ni le suffrage universel ou « universalisé, » ni des élections précipitées, et ils ne cachent pas que, dans leur pensée, le mieux serait de tout ajourner à une législature nouvelle. D’un autre côté, le ministère s’est trop avancé pour pouvoir reculer aujourd’hui. Si, avant d’aller au combat, il était assuré d’obtenir éventuellement du roi la dissolution des cortès, il aurait encore quelque chance ; mais, depuis quelques jours, cette éventualité semble être redevenue douteuse ; il n’est point impossible que les difficultés qui se révèlent de toutes parts ne mettent le roi en garde contre une dissolution qui pourrait ressembler à une aventure. Le ministère se trouve dans une situation d’autant plus critique qu’il n’a pas seulement affaire à une vive opposition parlementaire par un traité de commerce qu’il vient de négocier avec l’Angleterre et qui s’inspire plus ou moins des idées de liberté commerciale, il a suscité en Catalogne une certaine agitation où patrons et ouvriers font alliance dans l’intérêt de l’industrie catalane : de sorte que le ministère a contre lui, et une opposition politique dans le congrès, et une agitation industrielle en Catalogne, sans être assuré de pouvoir trancher la question par une dissolution.

C’est évidemment une crise des plus sérieuses qui commence au-delà des Pyrénées. Comment l’Espagne va-t-elle sortir de là ? Si le ministère de la gauche, qui est arrivé au pouvoir d’une manière assez imprévue, tombe maintenant sans avoir pu dissoudre les cortès, ce sera sans nul doute un sujet d’irritation pour les partis démocratiques, qui, après s’être ralliés à la dynastie, se rejetteront peut-être dans une opposition violente, plus ou moins révolutionnaire. Par qui d’ailleurs le ministère sera-t-il remplacé ? Jusqu’ici, M. Sagasta, qui dispose de la majorité semble le chef parlementaire le plus désigné pour rentrer aux affaires. Seulement il n’est pas bien sûr que, la crise une fois engagée et les événemens se développant, le pouvoir ne passe rapidement aux conservateurs, toujours prêts à recueillir l’héritage. De toute façon, c’est l’imprévu rentrant encore une fois avec l’année nouvelle dans les affaires espagnoles.


CH. DE MAZADE.