Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exerce après tout réellement en Europe. Ce qu’il y a eu de nouveau, d’inattendu dans le voyage de Rome, c’est la visite du prince allemand au souverain pontife, et cette visite, elle s’est faite dans des conditions évidemment convenues. Le prince s’est rendu à l’ambassade d’Allemagne auprès du pape, c’est-à-dire en territoire allemand, et c’est de là qu’il est parti, avec ses équipages, pour aller au Vatican, où il a eu une entrevue de près d’une heure avec le saint-père. Rien de plus simple et de plus extraordinaire en même temps, puisque, pour la première fois, l’héritier du puissant empire d’Allemagne et le chef de la catholicité se rencontraient dans une conférence intime, visiblement recherchée par le prince, acceptée par le pontife. Que les polémistes italiens s’ingénient à battre la campagne sur un tel fait, à démontrer que le prince allemand n’est allé à Rome que pour voir le roi Humbert, qu’il a été l’hôte du Quirinal, que l’entrevue du Vatican n’a été qu’un incident, que, dans tous les cas, après cette visite, on ne pourra plus parler de la captivité du pape dans son palais ; que les Italiens, comme pour voiler l’importance de l’événement ou pour déguiser leurs préoccupations, se soient de plus empressés de ménager au prince allemand une réception magnifique, de l’entourer d’ovations et de manifestations, saluant en lui le chef de la triple alliance, peu importe ; les commentaires restent pour ce qu’ils valent, les démonstrations ne déguisent pas la vérité des choses. Le seul point clair et évident, c’est que, dans la circonstance présente, le prince impérial d’Allemagne n’est allé à Rome que pour faire cette visite au Vatican, qu’il a fait ce qu’il voulait, et, sans en croire tout ce qu’ont répété les nouvellistes, il est infiniment présumable que le futur empereur d’Allemagne et le saint-père n’ont pas passé une heure ensemble pour ne rien dire.

Il n’est point douteux d’abord que, dans l’esprit de ceux qui l’ont préparée et décidée, cette entrevue est destinée à avoir un jour ou l’autre une sérieuse influence sur la pacification religieuse de l’Allemagne ; elle n’a été visiblement conçue que pour cela. Il est certain aussi qu’elle a dès ce moment un autre caractère singulièrement frappant. Assurément elle n’a point ou pour objet, et elle n’aura point pour résultat de reconstituer le domaine temporel du saint-siège : elle confirme du moins aux yeux de tous et elle relève l’importance de la papauté en Europe ; elle est comme l’attestation visible de la place que la souveraineté morale du pontife garde toujours dans le monde. Y a-t-il eu quelque calcul de politique générale, quelque arrière-pensée de la part, de M. de Bismarck, qui, par cette démarche organisée avec un peu d’ostentation, se serait proposé d’engager le pape dans les grandes alliances conservatrices dont il est le promoteur ou le chef ? M. de Bismarck ne fait rien pour rien, cela est bien clair. Toujours est-il que, dans la pensée du chancelier, la