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expédition militaire, que sans des finances prospères on est bientôt à bout de ressources, que l’armée d’une grande puissance sur le pied de guerre coûte chaque jour de six à sept millions, que c’est par son crédit seulement qu’un état peut pourvoir à de telles nécessités. — Dis-moi quel est ton gouvernement, pourrait-on dire à un peuple qui se dispose à en découdre avec son voisin, et je te dirai quelle armée tu as et si elle reviendra victorieuse ou battue.

Mais c’est surtout dans la façon d’engager la partie que la politique joue un rôle essentiel et que les hommes d’état sont tenus d’exercer tous leurs talens. M. von der Goltz estime que, par le temps qui court, les entreprises n’ont de chances de réussir qu’à la condition d’être précédées d’une habile campagne diplomatique ; coûte que coûte, il importe de leur donner bon air et de belles couleurs. Ce n’est pas tout d’être fort, il faut paraître avoir raison. Autrefois, on se faisait moins de scrupules à ce sujet. Un philosophe du siècle dernier disait que, pour qu’un prince se crût autorisé à entrer en campagne, il suffisait de lui prouver qu’il descendait en droite ligne d’un comte dont les parens avaient fait, trois ou quatre siècles auparavant, un pacte de famille avec une maison disparue depuis lors, laquelle avait eu des prétentions éloignées sur une province dont le dernier possesseur était mort d’apoplexie. « Le prince et son conseil voient son droit évident. Il trouve incontinent un grand nombre d’hommes qui n’ont rien à perdre ; il les habille d’un gros drap bleu, à cent-dix sous l’aune, borde leurs chapeaux avec du gros fil blanc, les fait tourner à droite et à gauche et marche à la gloire. Des peuples assez éloignés entendent dire qu’on va se battre et qu’il y a cinq à six sous par jour à gagner pour eux s’ils veulent être de la partie ; ils se divisent aussitôt en deux bandes comme des moissonneurs et vont vendre leurs services à quiconque veut les employer. Ces multitudes s’acharnent les unes contre les autres non-seulement sans avoir aucun intérêt au procès, mais sans savoir même de quoi il s’agit. » Voltaire en concluait que tant que le caprice d’un souverain fera égorger des milliers d’hommes, la guerre devra être considérée comme une forme du brigandage et comme le plus horrible des fléaux.

Un philosophe allemand a répondu à cela que ce fléau a ses côtés utiles et bienfaisans, que les peuples qui ne connaissent et ne recherchent que les douceurs de la vie ne tardent pas à dégénérer, qu’il est bon de contraindre quelquefois les hommes à sacrifier leur bien-être à une volonté supérieure ou à l’intérêt général, que les prédicateurs qui enseignent le détachement des biens de la terre sont souvent admirés pour leur éloquence, mais que chacun se dit en les écoutant : Puisse mon voisin faire son profit du sermon ! Quant à moi, je m’arrangerai pour conserver ma maison et ma vigne. — « Le seul prédicateur, disait