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n’attendit pas qu’il fût au large pour se débarrasser de sa cargaison et la jeta dans le fleuve ; c’est à cette circonstance qu’on doit l’immense gisement huîtrier qui s’étend de la rive gauche de la Gironde à la pointe de Grave et même au-delà, puisque le frai s’est répandu jusqu’à l’île de Ré et l’île d’Oléron. Malgré les avantages que présente cette huître, il est certain que, sous le rapport de la forme, qui est très irrégulière, comme sous celui de la qualité, elle est inférieure à l’huître indigène et que beaucoup d’ostréiculteurs redoutent de la voir, soit directement, soit par voie d’hybridation, se substituer à celle-ci[1].

L’immense consommation d’huîtres qui se fait, qui à Paris seulement s’élève à 200 millions, et que le développement des voies ferrées accroît de jour en jour, jointe à diverses causes de destruction, a amené peu à peu l’épuisement des bancs autrefois si riches qui entouraient nos côtes d’une ceinture presque continue. L’huître a tout d’abord à redouter de nombreux ennemis ; beaucoup de familles de poissons, de mollusques, de crustacés, de polypes vivent à ses dépens. Les uns la. dévorent à l’état d’embryon avant qu’elle soit fixée ; les autres, comme les crabes et les langoustes, la surprennent pendant qu’elle a les valves entr’ouvertes ; d’autres enfin, comme le murex tarentinus (bigorneau perceur) et le nassa reticulata perforent les coquilles et introduisent dans l’orifice un siphon, au moyen duquel ils aspirent la substance animale. Sur certains points, les bancs ont été envahis et détruits par les moules, sur d’autres par le maërle, plante de la famille des spongiaires, d’un aspect gélatineux, qui se recouvre d’une couche calcaire et se multiplie de proche en proche. Si redoutables que soient ces ennemis, ils le sont moins encore que l’envasement des bancs, dû, suivant M. de La Blanchère[2], à l’emploi de la drague pour pêcher les huîtres. Cet engin agit, en effet, comme une charrue qui creuse d’énormes sillons dans lesquels la vase s’accumule peu à peu et de là s’étend sur les huîtres voisines. Cette pêche d’ailleurs se fait d’une manière barbare par des embarcations montées par 5 ou 6 hommes et réunies au nombre de 20 ou 30 sur un même banc ; elles mettent toutes ensemble leurs dragues à la mer et ne quittent la place que lorsqu’on les y oblige. C’est pour empêcher la ruine de nos bancs et pour mettre un terme aux dévastations dont ils étaient l’objet de la part des pêcheurs qu’ont été rendus les décrets de 1853, de 1859 et de 1862, en vertu desquels la

  1. Dans un intéressant article publié dans le Journal de l’agriculture sur le repeuplement du rocher de l’Estrée par M. de Piolan, M. Chabot-Barien ne parait pas partager cette opinion et croit, au contraire, que l’huître portugaise s’améliorera sur les côtes de France.
  2. Culture des plages maritimes, par M. de La Blanchère. Paris ; Rothschild.