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consigne, et, une fois le pied hors de Rome, les papes ne s’arrêteront guère en Italie. Il peut se faire aussi qu’un conclave tombant en été, les cardinaux, bannis du Quirinal, répugnent à s’enfermer dans les malsaines cellules du Vatican, et que le pape, élu dans quelque ville des Alpes, hésite à venir se constituer prisonnier à Rome. Dans la question pontificale, comme dans toutes les choses humaines, il reste ainsi, en dehors même des complications politiques, une part d’imprévu qui peut déjouer tous les calculs.


VII

De tous ces aperçus divers quelle conclusion tirer ? Une seule, que le lecteur aura formulée avant nous. Le saint-siège et l’Italie sont tous deux enchaînés, tous deux rivés à Rome ; ils seraient tous deux presque également embarrassés de transférer leur capitale ailleurs. Le pape et le roi restent en face l’un de l’autre, dans la ville éternelle, condamnés à l’antagonisme par leur voisinage, par le besoin de maintenir réciproquement leur indépendance, par leur coexistence dans les murs d’une ville où ils sont comme affrontés. Entre eux et leur mutuel désir de pacification se dresse Rome, leur résidence commune ; Rome, que chacun d’eux revendique comme son héritage, que l’un exige solennellement pour lui seul, que l’autre refuse hautement d’abandonner ; Rome qui leur interdit toute conciliation. A quoi bon chercher entre eux les conditions d’un compromis, puisque, sur le principal point en litige, ils ne peuvent ou ne veulent s’entendre ? A quoi bon leur proposer un traité de paix, quand ce que l’Italie demandé au saint-siège, c’est d’accepter l’occupation de Rome et ce que le saint-siège réclame de l’Italie, c’est l’évacuation de Rome[1] ? Le jour est encore loin où, selon le vœu de tant d’Italiens, on verra le pape appuyé sur le bras du roi ; et, si jamais un souverain pontife doit, dans une de ses basiliques, couronner de ses mains le roi d’Italie, ce n’est ni notre siècle ni notre génération qui assisteront à pareil spectacle. Pendant longtemps encore, le saint-siège et la monarchie demeureront en présence dans les murs de Rome comme deux combattans en champ clos.

Leur lutte a ceci de particulier que, tout en étant contraints de demeurer en guerre, les deux adversaires se trouvent intéressés à

  1. Aussi ne nous arrêterons-nous pas à examiner les diverses propositions faites à ce sujet, pas même celle de notre compatriote, M. E. Rendu, dont, récemment, l’ingénieuse combinaison a été discutée dans la presse italienne des deux bords opposés. Voyez notamment la Rassegna nazionale juin, juillet et août 1883.