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L’indépendance que le saint-siège peut montrer en face de l’Italie, qui s’est emparée de sa capitale, il lui serait malaisé de la manifester au même degré vis-à-vis d’un gouvernement auquel il serait lui-même venu demander asile. Les états où le saint-siège rencontrerait la plus grande liberté de mouvement pour le souverain pontife, pour le sacré-collège, pour ses établissemens et ses congrégations, ce seraient encore les pays anglo-saxons et en majorité protestans, ce seraient les États-Unis, le paradis des sectes, et l’Angleterre, où le peuple brûlait naguère le pape en effigie. Un journal américain, le New-York-Herald, engageait un jour Léon XIII à passer l’Atlantique pour se fixer aux États-Unis ou au Canada. Nulle part, en effet, il ne saurait trouver plus de latitude et de réelle liberté qu’à l’abri de la bannière étoilée ou à l’ombre du léopard britannique ; mais ce serait la liberté du droit commun, sans restriction, ni privilèges, exposée à tous les voisinages et à tous les contacts. Or, ce n’est pas ce que cherche encore la curie romaine. Puis le nouveau monde, et l’Angleterre même, sont trop éloignés des plus populeuses nations catholiques. Pour que le pape puisse songer à traverser l’Atlantique, il faut attendre deux ou trois siècles que la population catholique des deux Amériques dépasse celle du vieux continent. Aujourd’hui, les souverains pontifes hésiteraient à mettre la mer entre eux et l’épiscopat, le clergé, les pèlerins de l’Europe. C’est pour cela que, s’il vient à quitter Rome, dont il peut être un jour chassé par la violence ou par de mesquines tracasseries, le saint-siège n’ira probablement pas se reléguer dans une île, ni à Malte, ni aux Baléares, si favorables qu’en puissent sembler la position, le climat, le régime politique. Le jour où le pape se verrait contraint d’abandonner le Vatican et les tombeaux des apôtres, ce ne sont pas les grands états de l’Europe qui lui offriraient la demeure la plus acceptable, ce seraient, croyons-nous, les plus petits, les moins forts, ceux qui ne sauraient lui faire payer trop cher leur hospitalité et qui porteraient le moins d’ombrage à autrui ; et, entre tous les petits états, ce serait, nous semble-t-il, le plus minuscule, Monaco, — car San-Marino n’est qu’une enclave italienne et Andorre une bourgade au fond des montagnes. Il n’est pas dans toute l’Europe d’endroit où le saint-siège ait plus de chances de conserver sa dignité et son indépendance, de mieux échapper à l’ébranlement des révolutions et aux luttes des puissances. Il n’y aurait, pour faire place au pape, qu’à débarrasser le vieux rocher du voisinage de Monte-Carlo. Nulle part la cour romaine ne saurait être moins dépaysée et aucune ville ne lui offrirait des communications plus faciles, par terre ou par mer, que cette lilliputienne principauté des Grimaldi. A Monaco, le saint-siège n’aurait rien à craindre du dedans ni du dehors, il y serait aussi libre que s’il y régnait ; rien