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entrés à Rome ou venus à ses portes sans oser s’y installer, fournissent aux avocats du Vatican une sorte d’argument historique, à leurs yeux irréfutable, qui, plus que tout autre peut-être, les encourage dans leurs résistances et leurs espérances[1]. Ils découvrent là le doigt de la Providence ; ils ne peuvent croire qu’elle ait retiré sa main pour toujours, et ils ne se lassent pas d’attendre son heure. Quelle que soit la force des liens qui attachent déjà l’Italie à Rome, la nouvelle monarchie a beau nous y paraître enchaînée, les complications de l’avenir ont tant de côtés obscurs qu’il serait peut-être présomptueux d’affirmer que jamais les rois d’Italie n’imiteront Constantin ou Théodose, les Goths ou les Lombards. Si, par impossible, ils viennent jamais à le faire, si une main mystérieuse les emporte à leur tour loin de ces collines prédestinées, l’instrument providentiel ne sera ni une armée descendant des monts ou débarquant de la mer, ni une diplomatie divisée ou indifférente, mais bien la politique italienne et le peuple italien même : c’est qu’une majorité catholique aura triomphé au Monte-Citorio ; mais, plus cette révolution se fera attendre, plus longtemps les rois et les ministres resteront à Rome, et plus il s’y créera d’intérêts pour les y retenir, plus il sera difficile de les en arracher, plus grand, en un mot, sera le miracle de leur départ.


VI

Si le roi ne sort pas de Rome, le pape en devra sortir : tel est le dilemme dans lequel les plus ardens de ses partisans veulent enfermer le saint-siège ; le prudent Léon XIII semble l’avoir lui-même publiquement admis en 1881 et 1882. Durant plusieurs mois, on ne l’a pas oublié, le saint-père a laissé annoncer qu’il faisait ses préparatifs de départ, que les évêques réunis pour la canonisation de Benoît Labre lui en avaient donné le conseil, qu’il avait même fait dresser l’inventaire des trésors du Vatican pour les placer, dorant son absence, sous la sauvegarde des puissances. Par bonheur pour l’église, s’il y a jamais sérieusement songé, Léon XIII ne s’est pas encore mis en route. A l’heure actuelle, il ne saurait, croyons-nous, s’en repentir. Un pape ne peut spontanément se décider à un tel pas que si, en sortant de Rome, il est sûr d’y rentrer en maître. Pie IX lui-même, s’il est parti pour Gaëte en 1858, est resté en 1870. Or, sur quel bras pourrait compter Léon XIII pour

  1. Voyez notamment la lettre de Léon XIII à propos de la bibliothèque Vaticane et des travaux d’histoire.