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victoire parlementaire pour transformer d’une manière permanente la situation actuelle du saint-siège. Toute solution, sortie d’un triomphe électoral des catholiques, serait de sa nature aussi précaire que ce triomphe, c’est-à-dire au fond non moins précaire que la loi des garanties de 1871. Seul, un acte international pourrait lui donner une valeur supérieure, et encore l’œuvre de la diplomatie et des congrès n’est-elle pas toujours beaucoup plus solide que l’œuvre des majorités parlementaires.

En serait-il autrement d’une entente directe entre le saint-siège et la monarchie, entre le pape et le roi ? Pour le Vatican et les catholiques, l’entrée au parlement, l’assaut direct du pouvoir n’est sans doute pas l’unique moyen de modifier la situation actuelle. Ils peuvent tenter une autre voie en apparence plus courte et plus sûre, un accord immédiat entre le Vatican et le Quirinal. « C’est là, me disait un de mes amis d’outre-monts, un élément du problème que vous ne devez pas négliger. » Certains catholiques, en effet, spéculent de loin sur un revirement, sur une sorte de conversion politique de la maison de Savoie. Loin de se croire obligés de conquérir pied à pied le terrain électoral, ils se flattent de voir un jour le commandant officiel de l’armée ennemie venir, à la tête de ses troupes, déposer l’épée aux pieds du saint-père. De même que les libéraux se leurraient naguère de l’espoir d’amener le Vatican à s’incliner spontanément devant les faits accomplis, je connais des conservateurs qui ne désespèrent pas de voir le Quirinal faire amende honorable, qui se représentent la maison de Savoie murmurant son mea culpa et allant, elle aussi, à Canossa.

Faut-il montrer sur quoi se fondent les fauteurs de ces hardis calculs ? « Ne sentez-vous pas, disent-ils, que les progrès de la démocratie et les menaces du radicalisme contraindront tôt ou tard la monarchie à se réconcilier avec la papauté, à courtiser l’appui des catholiques et à le payer ? Ne voyez-vous pas que la main secourable offerte par Léon XIII à tous les gouvernemens, la royauté italienne n’en a pas moins besoin que les autres monarchies européennes ? Ne savez-vous point que, dans notre âge révolutionnaire, une monarchie n’a de solidité qu’autant qu’elle repose sur toutes les forces conservatrices du pays, et que, dans les états catholiques, il ne saurait y avoir de vrai parti conservateur avec l’hostilité de l’église ? Ignorez-vous qu’un trône appuyé sur un parti, comme naguère chez vous la monarchie de juillet ou le second empire, est exposé à être renversé au premier choc, et nierez-vous qu’en fait d’innovations démocratiques, de changemens et d’expériences de tous genres, en fait de travestissement populaire, il est des transformations qu’une monarchie ne saurait subir sans se suicider ?