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national. On ne saurait nier que tel soit le vœu de la grande majorité de la nation, quoique les déceptions des dernières années aient souvent diminué la foi ou lassé la patience de ceux qui rêvaient d’en être témoins. L’attitude même de Léon XIII, qui, sur ce point, a trompé beaucoup de naïves espérances, n’a pas laissé que de décourager les partisans de cette réconciliation tant invoquée. Si leur zèle est souvent refroidi et la réalisation de leur ancien songe renvoyée à l’obscur avenir, ils n’en restent pas moins nombreux, les uns guidés surtout par un sentiment religieux, les autres par des considérations politiques.

La question, en effet, n’intéresse pas moins la prévoyance des patriotes que la piété des fidèles. Quel événement plus heureux pour l’Italie qu’un rapprochement avec la papauté, à la condition, bien entendu, que son unité en sortît intacte ? Ce serait la consécration définitive de cette unité, l’apaisement de la conscience nationale, l’affermissement des institutions, l’unification morale après l’unification matérielle. L’avantage ne serait guère moindre au point de vue extérieur, au point de vue des relations internationales et de l’influence politique de la péninsule. Qui ne voit que la situation de l’Italie vis-à-vis des puissances en serait notablement simplifiée et améliorée ? Mais ce ne serait pas tout. Pour des yeux à longue vue, ce ne serait même peut-être que le petit côté de la question. Le rapprochement de l’Italie et du saint-siège pourrait, avec le temps, avoir pour elle de plus amples et plus lointains avantages. Une fois rentrée en grâce près de la curie romaine, la nouvelle Italie pourrait s’en faire une amie, un alliée, et, comme telle, utiliser à son profit une bonne part de l’influence et de la force morale que possède encore dans le monde la chaire romaine. Avec de la dextérité et du savoir-faire, ce qui ne leur a jamais manqué, en sachant accorder chez eux à l’église certains avantages, en en soutenant, au besoin, les intérêts au dehors, en profitant habilement des fautes d’autrui, en exploitant contre leurs rivaux les froissemens ou les justes ressentimens du Vatican, les Italiens acquerraient des titres à sa reconnaissance et pourraient faire avec lui un fructueux échange de bons procédés et de bons offices. Possédant chez elle le chef suprême de l’église, le pape et la majorité des cardinaux continuant à être Italiens, l’Italie, érigée en puissance de premier rang, n’aurait-elle pas de grandes chances de voir l’église romaine, devenue plus que jamais italienne, subir peu à peu son influence nationale ? Le Vatican et le catholicisme, avec leur immense clientèle, ne sauraient-ils, à la longue, se faire les auxiliaires, sinon les instrumens, du pays dont le pape serait l’hôte ?

Qu’on ne dise pas que ce sont là de vaines chimères, auxquelles