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temporel des papes, il est vrai, a dans ce siècle même été par deux fois rétabli, mais il n’a été relevé que pour tomber de nouveau ; et, si par impossible, il l’était encore, ce serait encore pour s’écrouler à brève échéance. Le plus difficile, en effet, — et c’est là ce qui en est la condamnation irrévocable, — ce ne serait pas tant de restaurer la royauté pontificale que de la faire durer. Lorsqu’elle a été définitivement renversée, en 1870, elle survivait déjà, depuis plusieurs générations, à l’ordre de choses dont elle était sortie, à l’état social et politique dont elle était la conséquence et la plus haute consécration. Dans le monde issu de la révolution, elle n’était plus qu’un archaïsme politique, un anachronisme anormal, un témoin isolé d’un âge écoulé, une vénérable antiquité artificiellement conservée par la piété des uns et les calculs des autres.

Que, dans les transports contagieux de l’enthousiasme, des pèlerins, exaltés par la foi et éblouis par l’inamissible majesté du pontife romain, aillent, sous les voûtes des Loges de Raphaël ou sous la ronde coupole de Saint-Pierre, crier : « Vive le pape roi ! » presque autant vaudrait monter sur les gradins vides du Colisée ou sur les arcades écroulées du Palatin, ou bien descendre, au pied du Capitole défiguré, sur les dalles usées du forum, pour jeter aux ruines de la Rome impériale, le cri de : « Vive César ! vive le très puissant et très clément Auguste ! » L’époque, l’âge historique des pontifes rois est aussi irrévocablement passé que l’ère des empereurs grands-pontifes. La séparation des deux pouvoirs, la disjonction de la crosse et de l’épée, si ardemment appelée de Dante, est partout effectuée. La royauté pontificale, jadis escortée en Europe d’un nombreux cortège de souverainetés de même ordre, n’est pas plus aisée à relever que les vieilles principautés ecclésiastiques qui, durant des siècles, lui ont servi de satellites. Au milieu de nos états laïques modernes, il ne reste guère plus de place pour un pape monarque temporel, que pour les électeurs souverains, de Cologne ou de Mayence, pour les princes évêques de liège ou de Salzbourg, ou les abbés casqués et cuirassés du moyen âge. La royauté terrestre des papes est enterrée, avec Pie IX, dans la confession de Saint-Laurent hors les murs, entre les vénérables reliques des basiliques constantiniennes, et elle n’en ressuscitera pas plus que son ancien rival, le saint-empire romain.

Une erreur, partout commune, c’est de ne voir, à la destruction de la royauté papale, d’autres raison que l’unité de l’Italie et la révolution de 1860. Penser ainsi, c’est s’arrêter aux causes secondes et immédiates, sans remonter à la cause première et aux lois générales de l’histoire. Le grand coupable de la spoliation de la chaire romaine, ce n’est ni Victor-Emmanuel, ni Cavour, ni Garibaldi, c’est l’esprit moderne, l’esprit dont est imbue toute la société contemporaine, et