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plus vifs témoignages de cordialité ; ils affirmaient l’un et l’autre la nécessité de la paix et de l’amitié entre les deux nations. C’est qu’en définitive là est la vérité. Quelques incidens, quelques fantaisies ne détruisent pas des liens que de vieilles traditions, des intérêts permanens ont formés, et le jour où des hommes à l’esprit hasardeux croiraient pouvoir briguer pour leur pays on ne sait quelle place équivoque dans une coalition contre la France, ils seraient désavoués par tous les partis sérieux au-delà des Pyrénées. C’est le sentiment qui perce jusque dans l’accueil courtois fait par l’opinion espagnole au fils de l’empereur Guillaume, et voilà pourquoi ce voyage, en dépit de toutes les apparences et de tous les commentaires, ne semble pas de nature à modifier sensiblement la direction des affaires extérieures de la Péninsule.

Le moment serait d’ailleurs singulièrement choisi pour l’Espagne, qui aujourd’hui a des affaires intérieures assez obscures et assez laborieuses. Le roi Alphonse XII, qui ne manque ni de sagacité ni de hardiesse, joue à l’heure qu’il est « ne assez grosse partie. Il s’est décidé, à son retour d’Allemagne, à tenter une expérience peut-être un peu aventureuse en appelant au pouvoir un ministère qui se compose de quelques-uns des représentans de la démocratie monarchique et dont le programme ne tend à rien moins qu’à reviser la constitution, à rétablir le suffrage universel, à remettre dans les lois le mariage civil. Ce ne sont là que les points principaux, il y en a bien d’autres dans ce programme adopté et soutenu par des hommes d’ailleurs habiles et éloquens comme le ministre de l’intérieur, M. Moret, comme le ministre de la guerre, le général Lopez Dominguez, sous la direction du chef du — cabinet lui-même, le vieux M. Posada Herrera. Quelle sera l’issue de cette expérience ? On ne peut certes encore le dire. Les certes, qui se réunissent demain, et les discussions qui vont s’ouvrir, mettront peut-être quelque lumière dans cette situation passablement obscure, — à moins qu’elles n’ajoutent à la confusion, ce qui n’est point impossible. Ce qu’il y a de certain, c’est que le ministère ne peut vivre, accomplir ses desseins qu’avec l’appui des amis du dernier cabinet présidé par M. Sagasta, et que cette majorité qui a soutenu M. Sagasta, qui est dévouée à sa politique, n’est jusqu’ici rien moins que favorable à la revision de la constitution de 1876, au rétablissement du suffrage universel. On négocie, dit-on, pour arriver à une entente des diverses fractions libérales, des amis de M. Sagasta et des amis du nouveau cabinet. Cette entente, se réalisât-elle un moment, ne sera, selon toute apparence, ni bien sérieuse ni bien durable. Si le ministère de M. Posada Herrera trouve une résistance invincible dans le parlement et s’il a d’avance reçu du roi l’autorisation de dissoudre les cortès, soit, c’est un moyen de se tirer d’affaire, de gagner du temps. On fera des élections ; seulement il y a bien des