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instant à toutes les interpellations, si l’on devait, à la première sommation d’un député, livrer toutes les dépêches, le secret des négociations, la république devait « faire son deuil » de toute politique extérieure. Oui, sans doute, si avec la responsabilité un gouvernement n’avait pas la liberté de ses délibérations intimes, les droits et les obligations d’une complète discrétion, il ne compterait plus ; il ne pourrait plus ni suivre une affaire, ni nouer une négociation sérieuse, ni inspirer confiance aux cabinets étrangers. C’est une vérité vieille comme le monde. Qu’est-ce à dire cependant ? M. le président du conseil ne s’est pas aperçu qu’il déplaçait la question. Un gouvernement, en effet, a et doit avoir les droits, les facultés, les pouvoirs qu’il réclame pour lui à la condition première d’avoir mérité par ses actes, par sa politique, la confiance complète du parlement qui le soutient ; il a d’habitude la liberté qu’il a su conquérir et il a d’autant plus d’autorité devant le pays qu’il s’est montré le gardien fidèle de tous les intérêts nationaux, extérieurs ou intérieurs. Voilà la question, — et c’est ici que la discussion récente devient réellement instructive, curieuse, par les aveux et les commentaires qui se sont succédé, qui ont été les préliminaires au moins bizarres d’un vote en faveur du ministère.

Disons la vérité. On a eu pendant quelques jours un bien singulier spectacle. Tout le monde s’est plu à faire le procès de la politique de ces dernières années. M. le rapporteur, avec une habile réserve, s’est fait un devoir de ne considérer que le présent, en jetant un voile sur le passé. M. le président de la commission des crédits a tenu à dégager sa responsabilité en déclarant qu’il était loin d’approuver la politique qui a été suivie « depuis le début de cette affaire jusqu’à l’heure présente. » De toutes parts, on a dit, on a répété, que depuis quelques années les fautes ont succédé aux fautes, qu’on n’a su ni agir à propos ni négocier au moment opportun, qu’on a eu tort de n’envoyer que des forces insuffisantes, et tort encore de désavouer M. Bourée, que le gouvernement a manqué à ses devoirs en usant sans cesse de subterfuges, en montrant une certaine défiance envers la chambre, trop tardivement consultée. On a dit tout cela et bien d’autres choses encore. Et après ? Quelle est la conclusion ? Le dernier mot est le vote remettant au gouvernement le soin de a déployer l’énergie nécessaire pour la défense des droits et des intérêts de la France au Tonkin. » De sorte que, par une étrange logique, un vote de confiance s’appuie sur la constatation de toutes les fautes qui ont été commises et que le procès fait à une politique a pour corollaire une sorte de blanc-seing donné au ministère qui a pratiqué cette politique. Fallait-il donc alors, direz-vous, renverser le ministère à une heure où nos soldats vont à l’ennemi sur le Fleuve-Rouge, où la France est en face de la Chine et où d’autres négociations sont peut-être engagées entre les chancelleries ? Fallait-il recommencer ce qui est arrivé l’an