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qui liait jusqu’à un certain point le royaume d’Annam à la France. On peut bien dire cependant que c’est seulement dans ces derniers temps que s’est dégagée par degrés la pensée d’une politique d’action ou d’expansion dans ces régions lointaines de l’extrême Orient. Ce n’est guère que dans ces années récentes qu’on en est venu à considérer comme une politique possible et utile pour la France de reprendre ou de poursuivre l’œuvre commencée par le traité de 1874, de resserrer les liens avec l’Annam, d’arriver enfin à établir notre protectorat sur les bords du Fleuve-Rouge, dans une certaine partie du Tonkin. Que cette politique eût ses avantages ou ses inconvéniens, c’est désormais une question tranchée. Ce n’est plus que le passé ; voici où commence le présent. Il est bien clair que le jour où l’on se décidait à faire une figure et à prendre position dans ces contrées de l’extrême Orient, il fallait se dire que cette politique avait ses conditions, qu’elle imposerait nécessairement des sacrifices, qu’elle nécessitait autant d’esprit de suite que de fermeté, et que, de plus, on était exposé à rencontrer la Chine, qui ne cesse de revendiquer des droits de suzeraineté sur l’Annam et sur le Tonkin. S’est-on bien rendu compte de tout cela ? Y a-t-il eu un instant dans le gouvernement une idée à peu près juste et précise ? Nous avons beau chercher dans tous ces faits que la discussion a remis en lumière, nous ne voyons guère que deux hommes qui, dans des sphères différentes, aient jugé nettement les choses. L’un de ces hommes est M. l’amiral Jauréguiberry, qui était ministre de la marine dans un moment où il y avait un parti décisif à prendre sur le Tonkin. Le vaillant et intelligent amiral était d’avis qu’il fallait agir, mais qu’il fallait proportionner les moyens d’action à l’œuvre qu’on allait entreprendre, qu’on devait surtout éviter de s’engager avec des forces insuffisantes. C’était un système. De son côté, notre représentant dans le Céleste-Empire, M. Bourée, d’accord en cela avec quelques autres de nos agens, a cru à un certain moment que, si l’on voulait éviter un conflit, il fallait négocier avec la Chine, que le mieux était d’aller chercher à Pékin la solution de l’affaire du Tonkin, et c’est ce qui l’avait conduit à cet acte qu’on a traité trop légèrement, qui n’était, si l’on veut, qu’un projet, un mémorandum, qui restait dans tous les cas un commencement de négociation. C’était un autre système.

Si l’on voulait agir promptement, résolument, de façon à prévenir toutes les complications, il fallait suivre les conseils de l’amiral Jauréguiberry et ne pas lui refuser les forces qu’il demandait ; si l’on voulait éviter, nous ne disons pas les périls, mais les ennuis d’un conflit avec la Chine, il fallait accepter cette ébauche de négociation qu’offrait M. Bourée. Dans les deux cas, c’était une conduite simple, logique, probablement efficace. Ce qui n’était point vraiment de la politique, c’était de tout brouiller, de ne prendre à l’ancien ministre de la marine