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va-t-il charmer pour lui cette heure nocturne, qui touche peut-être à sa dernière? La femme se dévoile : c’est Portia, la maîtresse de Barnabo. Pour consoler la veillée du parricide, horreur! qui se présente? C’est presque l’inceste.

J’ai dit que le quatrième acte pourrait être allégé. Pourtant cette nouvelle scène entre Severo et le vieux Torelli n’est-elle pas un expédient délicat pour encourager le jeune homme contre Barnabo, en lui montrant qui des deux est vraiment son père? Gian-Battista, maintenant que l’instant décisif approche, pleure sur Severo; à sentir la douceur de la paternité morale, le mépris de la paternité physique ne peut que se fortifier chez le meurtrier. Mais de nouveau il se trouve seul avec sa mère; tout à l’heure, défaillante, elle avait à peine entendu sa réponse: «J’ai juré sur l’hostie ! » Elle croit qu’il a renoncé à son projet; elle découvre que non; elle l’adjure de s’y soustraire. Vainement ! Voici qu’un des compagnons de Severo vient l’avertir que, ce soir, il sera enfermé seul avec Spinola désarmé dans une chapelle du dôme. Voici que Sandrino lui apporte un poignard dont le pommeau figure la tête de Brutus; hommes et choses, tout conspire à le pousser vers l’acte: il se résout, il agira.

Pas avant, toutefois, d’avoir tenté un moyen suprême de concilier l’intérêt de la patrie et l’instinct de la nature. Jusqu’au bout, malgré le progrès de sa volonté, le caractère de Severo persiste ; son « état d’innocence » lui demeure encore cher. Dans cette chapelle close, face à face avec Barnabo, qu’il appelle « mon père, » il le presse de lui remettre son anneau, insigne du pouvoir, et de fuir ensuite. La péripétie est fort belle; en bon soldat, le condottiere refuse; il raille même cette offre, il provoque le poignard, si bien que la bienveillance du spectateur se retourne presque pour lui et demeure au moins en suspens. Alors, par un coup de théâtre imprévu des esprits, mais pour lequel tous les cœurs sont prêts, la mère, donna Pia, la seule qui vraiment ait le droit de se venger et de faire justice, décidée à l’affreuse action pour épargner à son fils le parricide déjà présent, intervient et frappe l’homme. « Soyons damnés tous deux ! » s’écriait Severo en levant la main : «Non! dit-elle, apparue subitement, lui seul! » Elle tue, et aussitôt elle retourne l’arme contre elle : dévouée à son fils jusqu’au meurtre et jusqu’à la mort, elle le délivre à la fois d’un père infâme et d’une « mère sanglante. » Elle expire en lui recommandant le silence; elle dédie noblement sa dernière pensée à l’époux qu’elle n’a trahi naguère que par un dévoûment d’amour.

Les énergiques beautés de ce cinquième acte, en rappelant celles du premier et du second, après les charmes plus secrets du troisième et du quatrième, prouvent que l’auteur connaît le théâtre, aussi bien que toute l’œuvre atteste qu’il connaît le cœur de l’homme. Toute l’œuvre aussi est le témoignage le plus éclatant peut-être et le plus