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parricide ! La théorie des délicats sur cette matière pourrait mener loin. Il faut accorder que l’assassin, en apprenant que l’homme qu’il va frapper est son père, est troublé au moins, et, comme nous disions, gêné ; il faut avouer que ce trouble est pathétique, plus que ne serait l’indifférence, et reconnaître que cette gêne même, au lieu d’affaiblir les sentimens du héros, peut les renforcer ; si pourtant elle en retarde l’effet, il faut convenir que les péripéties morales qu’elle produit ne sont pas les beautés les moins nobles du drame.

D’ailleurs, pour être Pisan, et du XVe siècle, — s’il était Tourangeau, et du XIXe, il renoncerait à son dessein ! — Severo n’est pas la première brute venue qu’on ait pu tirer des chroniques italiennes. Il a grandi, pour le service d’une idée, à l’ombre d’un héroïque vieillard qui, depuis vingt ans, ne vit que par l’esprit, qui l’a élevé, comme, son fils, dans la lecture de Plutarque et de Tacite. Il a médité, sinon, comme Hamlet sur la destinée humaine, du moins sur la liberté, sur la patrie, sur l’honneur, comme Lorenzaccio dans la première fleur de sa jeunesse, — alors qu’il « commençait à jouer son rôle de Brutus moderne et marchait comme un enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable. » Severo Torelli sait penser et discourir ; il n’agira pas sans avoir pensé et discouru. Son âme ne se jette pas grossièrement à l’action ; elle ne s’y décidera que par de délicates épreuves dont elle confessera l’effet. Sommes-nous si déshabitués de la vue des causes morales au théâtre que nous déclarions un drame vide parce qu’il n’est rempli que de matière toute spirituelle ? À cette crise de conscience, dont le poète fait voir les momens divers, si quelques-uns, préfèrent la vue d’un bras qui se lèverait et retomberait aussitôt, ou, s’ils regrettent que, du commencement à la fin de cette crise, au lieu de nous en montrer toute la suite, l’auteur n’ait pas rempli l’intervalle par des combinaisons d’aventures, je conviens, que je ne suis pas de cette école et ne partage ni ces préférences ni ces regrets ; je me tiendrai content si le héros me découvre en de beaux vers un progrès naturel de sentimens.

Il est vrai que d’aucuns nient ce progrès et prétendent que Severo médite sur place et réclame sans avancer. Que leur répondre, sinon qu’ils ont eu l’esprit distrait ? Je dis l’esprit plutôt que l’oreille ou les yeux, car il se peut que telle expression, dans le monologue du cinquième acte, paraisse l’écho d’un monologue du troisième ; il se peut que telle scène entre Severo et sa mère, au quatrième acte, figure à peu près, pour le regard, une scène remarquée au second, et peut-être il eût été plus sage, pour éviter un malentendu, de la sacrifier. Mais se peut-il qu’on ne prenne pas garde à la variété des sentimens. et qu’on ne rende pas justice à l’ingénieux choix des occasions qui les font éclater ?

D’abord, quand Severo a découvert qu’il est le fils de Spinola, il a