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cette « tirerie » faisait plus de bruit que de mal, du jour où ils se sont familiarisés avec ces procédés assez inoffensifs, mais dont l’inattendu les avait si fort intimidés, ce jour-là, ils ont fini par braver les Turcs, si bien abrités qu’ils fussent dans leurs retranchemens, si richement qu’ils fussent pourvus de munitions, et ils ont emporté la place à la baïonnette, en répétant avec Souwaroff qu’elle seule est sage, que la balle est folle.

Les adversaires du tir dévergondé ont assez justement dit que la pierre de David n’aurait pas tué Goliath si elle avait été réduite en poussière. — Assurément non, mais elle aurait suffi à l’aveugler. Il ne s’agit pas de tuer beaucoup de monde, mais simplement de paralyser l’attaque en mettant l’assaillant en état de stupeur magnétique pour ainsi dire. C’est presque un procédé philanthropique de combat et qui mériterait une place dans la reconnaissance des peuples, s’il était efficace. Mais les tirs, comme les lois qui n’ont pas de sanction, finissent par ne plus effrayer s’ils ne font pas de mal. Il est donc à supposer que la fusillade à outrance ne pourra rien contre des troupes aguerries. Il est probable, au contraire, qu’elle aura sur des troupes novices, sur des réservistes qui n’auront jamais vu de champs de bataille, un effet moral considérable. Et c’est en même temps le genre de tir le plus facile à exécuter, celui que des soldats inexpérimentés ou déshabitués des exercices pourront fournir sans instruction préalable. On a donc été tout naturellement conduit à penser que les armées modernes se trouvaient dans les meilleures conditions possibles pour en faire utilement usage. Par leur composition hétérogène, elles seront en état de l’exécuter mieux qu’un tir ajusté, et l’effet produit sur les armées adverses sera d’autant plus grand que leur composition, à elles aussi, est plus hétérogène.

Déjà avant la guerre de 1870, un officier hessois qui a conquis une grande réputation auprès des spécialistes par ses études sur les armes portatives et qui, sur bien des points, a devancé son époque, le lieutenant-colonel Wilhem de Plœnnies, a fait remarquer «que de grandes masses d’infanterie peuvent sans grandes difficultés mettre en joue sous des angles de 25 à 40 degrés, et qu’on peut facilement contrôler un tel pointage. » Il ajoute qu’on pourrait en bien des cas obtenir ainsi des « effets surprenans, » même s’il ne tombait qu’un dixième des projectiles sur le terrain à battre. Il avait deviné la surprise qu’ont éprouvée désagréablement les Russes devant Plewna.

C’est un peu pour produire des effets de ce genre qu’on avait imaginé d’employer les mitrailleuses. Quoiqu’elles n’aient pas eu grand succès en 1870-1871 et qu’elles aient trompé les espérances que, dans sa crédulité superstitieuse, le public avait mises en elles, on doit avouer qu’elles trouvent encore des défenseurs. Elles