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Il n’y a guère qu’une sorte de critiques dont il doive encourir et garder la responsabilité tout entière : ce sont celles que l’on adresse ordinairement à son style. Tout son siècle a blâmé d’une voix, dans ses romans et dans ses comédies, l’affectation soutenue du langage et l’abus impatientant de l’esprit. Le Sage et Voltaire, Grimm et Diderot, La Harpe et Marmontel, tous enfin, depuis Crébillon jusqu’à Collé, s’accordent à lui reprocher son verbiage obscur et brillant, son galimatias d’amour, ses métaphores prétentieuses, ses distinctions à l’infini, sa rage de parler autrement que tout le monde, « en empaquetant sa pensée dans les agrémens les plus rares, » et sa manie de ne pas quitter une idée, quand il en tient une, avant de l’avoir gâtée,


Pour la vouloir outrer et pousser trop avant.


Sa suffisance n’a pas manqué de chercher ici des justifications, et sa finesse d’en trouver d’aussi vaines qu’ingénieuses. « Le vice du style, disait-il, n’est qu’une conséquence bien exacte du vice des pensées. Qu’on nous montre donc le vice des pensées, et qu’on laisse là le style, qui ne saurait être autrement qu’il est... S’il y a un reproche à faire, il ne saurait tomber que sur les pensées... Car le style ne saurait être accusé d’être recherché que parce que les pensées qu’il exprime sont extrêmement fines et qu’elles n’ont pu se former que d’une liaison d’idées singulières, lesquelles idées n’ont pu être exprimées à leur tour qu’en approchant des mots ou des signes qu’on a rarement vus aller ensemble. » On avait raillé le style, on railla la justification. L’auteur de Tanzaï s’en amusa comme d’un ridicule, mais l’auteur de Manon Lescaut s’en indigna comme d’un blasphème. La parodie du premier, quoi qu’on en ait voulu dire, est extrêmement spirituelle; le second, dans un journal qu’il rédigeait alors, le Pour et Contre, écrivit avec plus de franchise que de courtoisie : « Croirait-on qu’il fût possible de faire l’apologie du style précieux?.. On établit dans un écrit nouveau qu’il n’y a point de différence entre bien penser et bien écrire. J’en conviens quant aux ouvrages d’esprit. Aussi, si je disais que le style de tel auteur est ridicule, je prétendrais en même temps qu’il pense ridiculement; » et là-dessus il citait une phrase de Marivaux[1].

Ils n’avaient assurément pas tort. Certaines façons d’écrire, qu’il

  1. C’était d’ailleurs sur ce ton qu’il fallait le prendre avec Marivaux, si l’on voulait qu’il entendît. Croirait-on qu’il vit d’abord dans les railleries de Crébillon l’hommage d’un élève à son maître? Il fallut qu’on lui ouvrît les yeux pour qu’il y reconnût l’intention de raillerie. Prévost y allait par des voies moins détournées.