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de voir sa réputation décroître, et soi-même durer plus qu’elle. Sauf Rousseau, comme nous l’avons dit, la génération des encyclopédistes ne devait pas être tendre à l’auteur de Marianne, et si d’Alembert, dans son Éloge de Marivaux, a parlé très convenablement d’un confrère, Grimm, dans sa Correspondance, a traité Marivaux avec une dureté presque outrageuse. Grimm entendait peut-être le français, quoiqu’il l’écrivît à coup sûr beaucoup moins bien qu’on ne l’a voulu dire, mais il ne sentait pas la littérature française. Or, par ses défauts comme par ses qualités, peu d’écrivains sont plus Français que Marivaux.

L’opinion des encyclopédistes fit pourtant autorité. Quelques voix plus équitables essayèrent en vain d’en appeler. Le procès de Marivaux, dûment atteint et convaincu d’avoir marivaudé, fut tenu pour jugé, jusqu’au jour où Sainte-Beuve s’avisa que c’était pourtant quelque chose à un homme d’être ainsi devenu proverbe, et que, si le marivaudage continuait d’exister, Marivaux n’était peut-être pas aussi mort qu’on le croyait. On est allé plus loin depuis lors ; et peut-être trop loin. Ce n’est pas encore de l’enthousiasme que l’on professe pour Marivaux; il semble en vérité que ce soit plus que de l’admiration. Je viens d’en dire au moins l’une des raisons. Comme la plupart des défauts de Marivaux ne procèdent de rien autre chose que d’une transposition de l’esprit de conversation et de société dans le livre écrit et dans la pièce jouée, peu d’écrivains sont plus Français, et tant qu’il y aura des salons, il ne faut pas douter qu’il y ait des gens d’esprit, de beaucoup d’esprit, de bien plus d’esprit que de goût, pour lui faire de ses défauts mêmes autant de qualités. Mais il ira jusques aux nues toutes les fois que, comme dans le temps où nous vivons, la dépravation des mœurs ayant gagné, la mode sera d’envelopper dans un langage plus singulier des pensées plus libertines. — Indépendamment de cette raison générale, il y en a d’autres à donner, et que peut-être on n’a pas assez fait valoir, sans doute parce qu’elles sont trop simples. Pourquoi ne pas dire, en effet, tout uniment, que l’opinion commune, plus juste, mieux fondée qu’on ne se plaît à l’imaginer, loue dans Marivaux ce qu’il y. a de louable, y blâme ce qu’il y a de blâmable, et qu’il n’y a pas d’autre mystère aux alternatives qu’après les avoir subies depuis plus d’un siècle sa réputation ne cessera probablement pas de subir? C’est ce qu’il me reste maintenant à montrer.


II.

Ce n’est pas céder, je crois, au vain plaisir de jouer sur les mots, c’est exactement rapprocher les choses que de dire qu’il en est des