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Élargie, pour ainsi dire, par la préoccupation philosophique, la préoccupation littéraire, elle aussi, dans l’intervalle qui sépare le commencement de l’un et l’autre siècle, avait changé d’objet. A la querelle un peu puérile des Jobelins et des Uranistes avait succédé la querelle des anciens et des modernes. On était tout moderne autour de Mme de Lambert. A Dieu ne plaise que je veuille ici, vingtième ou trentième, retracer les luttes homériques de La Motte et de Mme Dacier! Je ferai seulement observer que, semblable à tant d’autres, la controverse enveloppait, sans le savoir, quelque chose de plus grand qu’elle-même. Comme vers le même temps, et à l’insu des partis en lutte, la question de l’indifférence en matière de religion s’est trouvée posée par la querelle des constitutionnaires et des anticonstitutionnaires, ainsi, dans la querelle des anciens et des modernes, se trouvait engagée cette idée de progrès, d’où l’on sait ce que les encyclopédistes allaient bientôt tirer de conséquences. Ceci explique la présence, dans l’œuvre de Marivaux, de quelques phrases qui, lorsqu’on les isole, semblent le dépasser. La position qu’il prit dans la querelle peut jeter, d’autre part, un jour assez vif sur la nature de son talent. Tandis que Fontenelle et La Motte, chacun à sa manière, traitait la question sérieusement, Marivaux travestissait l’Iliade et publiait son travestissement. Il y avait au dedans de lui un instinct de parodiste. C’est un problème que de savoir s’il a parodié Télémaque. Il s’en est défendu si vivement que l’on éprouve en vérité quelque embarras à le contredire, et cependant il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de douter que cette platitude soit de lui. En tout cas, son Pharsamon est une parodie de Don Quichotte, et sa Voiture embourbée une parodie de ces romans d’aventures qu’il avait lui-même commencé par imiter. La lecture en est aujourd’hui franchement insoutenable : des grossièretés inattendues y jurent avec les idées de délicatesse, d’élégance, de préciosité que rappelle d’abord à l’esprit le nom de Marivaux ; c’est ce qui me ferait douter par momens qu’il fût un hôte régulier du salon de Mme de Lambert; il fallait du moins, en dehors du palais Mazarin, qu’il ne vît pas toujours très bonne compagnie. Mais cet instinct de parodiste, épuré par le temps, devint plus tard chez lui, comme chez tous les parodistes qui valent mieux que leurs parodies, un goût très vif de la réalité prochaine, et ce que nous pourrions appeler de nos jours une tendance au naturalisme. Notons soigneusement le trait : il est essentiel à la définition du marivaudage. Un des procédés ordinaires de Marivaux consiste à tirer de l’usage familier, ou même vulgaire, les métaphores qui lui servent à diversifier les plus jolies nuances du sentiment. Si l’on dressait un lexique de la langue de Marivaux, elle apparaîtrait extrêmement riche, — bien plus riche peut-être que celle de Le Sage, — en dictions