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plus approfondie, confirmera cette parole vraiment prophétique d’Aristote : « Non, la nature ne nous paraîtra jamais être un ouvrage sans lien, un composé d’épisodes, comme une mauvaise tragédie. » C’est un poème d’une grande et merveilleuse unité. Et nous est-il interdit de chercher le poète ?

Tel a été le centre de perspective où nous nous sommes constamment tenu dans nos recherches métaphysiques[1]. Pour être complet dans nos indications, nous devons rappeler, au moins d’un mot, la partie psychologique très étendue de notre enseignement, l’étude expérimentale des instincts, des passions, de l’intelligence, de la raison, de la volonté, de la conscience morale, enfin de la personnalité humaine. Sur ce terrain, nous avons rencontré à chaque pas les explications nouvelles tirées du darwinisme et les analyses très intéressantes (même pour ceux qui n’en admettent pas les conclusions entrevues) de la psychologie physiologique, qui devrait s’appeler plutôt pathologique. Tout en les estimant insuffisantes, nous en avons tenu grand compte, et notre application a été de faire passer la psychologie biranienne, qui est la nôtre, par l’épreuve du fer et du feu. Ce ne serait rien moins qu’une épreuve mortelle pour la philosophie de la personnalité, que le triomphe de ces nouvelles doctrines, qui toutes se réduisent à un processus de mouvement nerveux ou d’actes réflexes.

Dans ces controverses, qui ont pris un si long espace de ma vie, je me suis appliqué constamment à pratiquer pour mon compte et à honorer dans mes adversaires la liberté de discussion, en tâchant d’en bien comprendre les devoirs, qui ne sont pas seulement des devoirs scientifiques, mais des obligations de conscience. La première règle m’a paru être de m’abstenir rigoureusement de toute polémique personnelle. Rien de plus déplorable, de plus honteux même, qu’une discussion philosophique qui glisse sur la pente vulgaire des récriminations, des insinuations, des représailles. Cette petite guerre d’épigrammes déshonore ceux qui la font bien plus que ceux qui la subissent. M. Guizot disait magnifiquement : « La polémique personnelle creuse les abîmes qu’elle prétend combler, car elle ajoute l’obstination des amours-propres à la diversité

  1. Nous négligeons volontairement, pour plus de clarté, dans un ensemble de leçons qui s’étendent sur un grand nombre d’années, une foule de questions successivement traitées, toutes dépendantes les unes des autres, et dont on peut suivre la série dans plusieurs de nos ouvrages où sont reproduites des portions essentielles de notre enseignement, tels que l’idée de Dieu, la Philosophie de Goethe (Essai sur le Panthéisme au XIXe siècle), le Matérialisme et la Science, le Pessimisme, les Problèmes de morale sociale (Morale indépendante, Morale utilitaire, Morale zoologique), enfin M. Littré et le Positivisme.