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qui peuvent être positivement constatés, des faits et des lois de la nature physique. Le positivisme semble d’abord être cela, n’être que cela, et, de fait, il est toute autre chose. Il est la même chose, en un sens, parce qu’il a le même contenu que la science positive; mais il est autre chose en ce sens qu’il déclare qu’au-delà de ce contenu il n’y a plus rien à chercher, plus rien même à savoir; qu’il n’y a pas d’autres faits à connaître, pas d’autres lois, pas d’autres réalités que celles-là, pas d’autre ordre de connaissances. On voit apparaître clairement la différence. La science positive est l’ensemble des connaissances vérifiables par l’expérience et par le calcul ; le positivisme consiste essentiellement dans la négation ou l’exclusion de tout ce qui dépasse cette nature visible et sensible; il borne la philosophie aux résultats systématisés de l’expérience, aux faits principaux de chaque science, coordonnés hiérarchiquement dans un certain ensemble. L’essence du positivisme est là et non pas ailleurs: il déclare fermées toutes les questions de causes et de fins, voilà son trait caractéristique. C’est donc le positivisme qui se porte l’adversaire irréconciliable de la métaphysique, ce n’est pas la science positive elle-même. Ce ne sont pas les vrais savans, les savans désintéressés et sans parti-pris, qui rejettent cet ordre de questions hors de l’esprit humain. Ce n’est pas le véritable esprit scientifique qui déclare la chimère ou le néant de ces recherches; c’est le positiviste, qui déjà n’est plus dans les vraies conditions d’impartialité du savant, puisqu’il est philosophe plutôt que savant, et qu’il a pris position d’avance.

Nous avons traité cette question capitale à plusieurs reprises, et avec étendue. Nous avons essayé de démontrer, par des analyses et des exemples dont le détail serait infini, que la science de la nature, quelque sévère qu’elle soit dans sa méthode et son contenu, n’exclut pas la recherche des principes et des causes, ne ferme pas les questions de cet ordre, ne contient en soi rien d’incompatible avec elles, seulement qu’elle déclare que ce n’est plus là son affaire, que ses procédés ne vont pas au-delà de ce qui est positivement déterminé et vérifiable. Cela, nous le savions déjà, et l’on ne nous refuse rien en nous refusant l’application des procédés positifs dans un ordre de recherches qui ne les comporte pas. Mais, à notre tour, tout en reconnaissant l’indépendance de fait de la science positive, nous avons montré que, théoriquement, elle ne se suffit pas pour se constituer. Elle tient à la métaphysique par ses postulats, qui dépendent des lois formelles de la pensée ; elle plonge par ce côté-là ses racines dans l’indéterminable. Elle y touche par certaines idées, dont l’expérience ne rend pas compte, mais au contraire qui la guident et la devancent ; elle y aspire par certaines conclusions implicites,