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la bataille de Sedan. Notre décadence militaire a coïncidé avec une des périodes de stérilité intellectuelle les plus complètes que notre pays ait connues. La grande science était morte chez nous et avec elle les nobles sentimens, les dévoûmens généreux, les progrès féconds. A la suite de nos désastres, des efforts sérieux ont été tentés pour relever les hautes études, pour doter la France d’universités pareilles à celles de l’Allemagne, pour les peupler d’auditeurs et d’élèves. Sans doute, on n’y songe plus guère en ce moment. L’enseignement primaire, réputé plus démocratique, a toutes les faveurs des pouvoirs publics. Néanmoins l’impulsion donnée à l’enseignement supérieur a produit ses fruits : nos facultés, nos écoles ont vu doubler leurs maîtres, et autour des chaires où jadis venait un public distrait, léger, indifférent, se presse une petite élite de travailleurs véritables qui ont déjà produit des œuvres dont l’étranger a été frappé. Eh bien! avec le service de trois ans, il faudra renoncer à ce réveil scientifique si longtemps attendu, si chèrement payé. La France aura quelques mauvais soldats de plus : combien perdra-t-elle de littérateurs, d’artistes et de savans!

Et qu’on ne croie pas que ce soit seulement pour les arts, pour les sciences, pour les lettres, pour ce qu’on appelle les professions libérales, pour ce qui forme le ressort intellectuel du pays, pour ce qui constitue la patrie dans le sens élevé du mot, que les études soient nécessaires et que, par suite, le service universel de trois ans, cette imitation banale et inintelligente des organisations de Sparte et des républiques antiques, constitue une menace terrible. Le péril n’est pas moins grand pour le commerce, pour l’industrie. Sparte n’avait ni commerce, ni industrie; voilà pourquoi tout le monde pouvait y être soldat. Mais la France est placée dans des conditions très différentes. Depuis quelques années, voyant sa richesse en danger, elle a fait une découverte fort importante : elle a reconnu qu’on ne naissait pas plus commerçant qu’on ne naissait littérateur ou mathématicien; que la simple pratique même, sauf dans des cas exceptionnels, ne suffisait point ; qu’à côté ou plutôt qu’avant l’apprentissage, il fallait un enseignement didactique. C’est faute de cet enseignement que la France était encombrée, avant la guerre, de Suisses et d’Allemands, qui occupaient presque tous de hautes positions dans notre commerce et dans notre industrie. Il y avait là, pour notre pays, une cause d’humiliation et de faiblesse. Les étrangers qui, plus instruits que nos nationaux, venaient exploiter nos richesses, le faisaient naturellement à leur profil. Beaucoup d’entre eux transportaient ensuite chez eux les entreprises qu’ils avaient étudiées et dirigées chez nous. C’est ainsi que l’Allemagne est devenue notre rivale dans les industries dites parisiennes. Il était évident que, si les choses continuaient à marcher ainsi, nous risquerions