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plusieurs chaires se sont élevées en l’honneur des philosophies les plus opposées à la nôtre[1]. Nous sommes loin de nous en plaindre, nous constatons le fait. Quant à cette philosophie que nous enseignons et dont le caractère est bien connu, parce qu’il ne s’est jamais dissimulé, à quel titre serait-elle officielle ? Dans quel laboratoire secret, dans quel cabinet politique a-t-elle bien pu être préparée, édictée? Où sont les oracles qui ont parlé ? Dans cette mobilité des pouvoirs publics qui se sont succédé depuis vingt années, lequel aurait jamais pu avoir non-seulement l’ambition morale, mais le temps matériel de dicter des mots d’ordre ou même d’inspirer un mouvement d’idées dans l’enseignement supérieur? S’il y avait une inspiration officielle, nous craindrions fort de n’être pas toujours d’accord avec elle. Mais la vérité est qu’il y en a pas et qu’on nous laisse libres. Cette liberté de l’enseignement dans les chaires publiques de l’état, nous l’avons goûtée et reconnue sous les régimes divers qui se sont succédé depuis vingt ans. C’est un témoignage qu’il ne me coûte pas de rendre.

Ce qui m’attirait particulièrement, ce qui me paraissait digne de remplir une vie philosophique, c’était de mettre la psychologie et la métaphysique à l’épreuve des idées nouvelles et de rechercher si, en effet, comme on le prétendait, la science de la nature, réduite à elle seule, apportait quelque base solide de reconstruction pour la raison et la conscience humaines, menacées ou détruites dans leurs fondations anciennes. Ce fut là le but constant de mes méditations, l’objet assidu de mes travaux. C’est avec cette méthode d’enquête perpétuelle sur les résultats et les conséquences authentiques des sciences que j’abordai l’exposition de mes idées. J’estimais que c’était à la fois une manière de faire subir à mes convictions personnelles une contre-épreuve utile et peut-être aussi une manière de renouveler les aspects des questions et de varier les démonstrations anciennes en les serrant de plus près.

Je vais tâcher de donner une idée de ce travail tel que je le conçus et que je le poursuivis obstinément. On comprend qu’il ne s’agit pas ici de résumer un cours qui a duré à travers un si long espace de temps sur des sujets variés et renouvelés chaque année. Je ne voudrais qu’en indiquer l’esprit, la tendance et la méthode, essayant de reconstruire l’ordre logique, sinon l’ordre chronologique de ce cours, la série et l’enchaînement des idées, sans m’attacher à la

  1. M. Jules Soury a obtenu la création d’une chaire à l’École des hautes études; M. Ribot, le savant directeur de la Revue philosophique, a été sollicité à plusieurs reprises d’ouvrir un cours libre près la Faculté des lettres; M. Laffitte fait un cours sur M. Auguste Comte dans la salle Gerson.