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après avoir pénétré, à la suite de Maine de Biran, « dans les galeries souterraines de la psychologie, » après s’être fixé quelque temps, par une sorte d’attraction irrésistible, dans les grandes spéculations de l’idéalisme hégélien, étudiées à leur source pendant ses deux voyages en Allemagne de 1817 et de 1824, il avait fini par se réfugier dans une sorte de spiritualisme vague et noble, composé pour une part d’idées empruntées à Descartes, pour une autre part de théories empruntées à Leibniz ; il en avait fait, avec quelques belles aspirations platoniciennes, une doctrine d’enseignement plus que de recherche proprement dite, où se distinguait un seul trait bien précis, bien personnel, l’attachement à la méthode psychologique comme au véritable et unique fondement de toute philosophie. Au vrai, la grandeur de M. Cousin n’est pas là; ce qu’il a créé est ailleurs. Il est un admirable historien de la philosophie. C’est de là que relèvent et sa véritable originalité dans ’e monde des idées, et sa grande influence sur les esprits de son temps.

S’il y a quelque justice à espérer, tel est le témoignage que la postérité rendra à M. Cousin, en dehors de tout parti-pris et de toute querelle misérable d’école. Ce n’était pas l’établissement d’un système nouveau que saluaient les applaudissemens enthousiastes de la vieille Sorbonne dans les cours mémorables de 1828 et de 1829; c’était la révélation du grand drame des idées sur la scène de l’esprit humain, ouverte par de larges échappées et de vastes aperçus. C’était là ce qui ravissait légitimement nos pères.

On n’avait jusque-là rien connu, rien entendu de semblable : les belles spéculations conçues dans les calculs profonds de la raison ou dans l’ivresse du génie venaient se peindre et se colorer dans les magnificences d’une parole inspirée. Il semblait que l’esprit humain retrouvât la conscience de lui-même, longtemps égarée et dispersée à travers les systèmes. Tel était le vrai sens de ce fameux mot d’éclectisme dont on a tant abusé contre M. Cousin. C’était la parenté des doctrines, attestant la nature et l’origine de la raison humaine et se reconnaissant à travers les diversités, les contradictions apparentes des civilisations et des hommes. Je ne sais quelle vision sublime du progrès apparaissait aux esprits, dans cet enchantement réciproque de l’auditoire et du maître. Que d’espérances confuses! que d’élans vers l’avenir ! Combien de nobles idées et aussi de rêves généreux sortaient, comme en essaims, des ombres émues du vieil édifice, et de là se répandaient sur les générations nouvelles en France et en Europe ! Chaque siècle a sa jeunesse et comme son printemps. C’était vraiment alors la jeunesse du XIXe siècle. Travail magnanime, vaillans et longs espoirs, animés par des volontés enthousiastes, tout cela n’a pas été stérile. Dans ce temps-là, l’Allemagne