Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présidé à leur formation. Depuis la révolution de 1848, sauf quelques rares apparitions au dehors, comme il en fit une dans la grande commission qui élabora la loi de 1850, M. Cousin vivait loin des luttes quotidiennes ; il avait renoncé à toute ingérence dans le gouvernement de la philosophie, si ce n’est par quelques conseils donnés de loin en loin. Retiré au fond de la Sorbonne, dans quelques chambres dont la seule décoration était une bibliothèque composée avec une sollicitude infinie et une passion éclairée, il y passa les dix-sept dernières années de sa vie, tout le temps du moins que lui laissait de libre, chaque année, son séjour dans le Midi, rendu nécessaire par l’affaiblissement de sa santé. Il y vivait, puissant encore par la pensée, à laquelle la méditation et l’étude apportaient un rajeunissement perpétuel, par sa conversation étonnante d’aperçus et inspiratrice au plus haut degré, par sa parole, dans les occasions où elle avait à se produire, tenant toujours, avec une sorte d’autorité consentie par ses confrères, l’empire de la philosophie à l’Institut, beaucoup moins au dehors, presque pas dans l’université. Il était loin d’approuver tous les mouvemens d’idées qui s’y produisaient. Est-il vrai, d’ailleurs, qu’il eût gouverné jamais, autant qu’on s’est plu à le dire, la philosophie proprement dite? L’enseignement secondaire, assurément, ce qui est bien différent et peut-être nécessaire; non l’enseignement supérieur, encore moins les consciences et les âmes. Des noms comme ceux de Jouffroy, d’Adolphe Garnier, de Vacherot, de Ravaisson sont là pour répondre du degré d’indépendance qu’il était permis à des philosophes universitaires de conserver, même dans ces générations antérieures à la nôtre et qui vivaient avec lui, près de lui, dans le voisinage immédiat de sa redoutable influence, sans trop en souffrir.

Osons dire ouvertement ce que nous pensons de M. Cousin, de son action sur les idées au XIXe siècle, et dans quelle mesure nous croyons l’avoir nous-mêmes subie. Nous ne diminuerons pas M. Cousin, bien au contraire; nous l’établirons d’autant plus solidement dans le domaine où il était le maître incontesté, que nous en marquerons plus nettement les limites, qui sont restées toujours un peu flottantes dans l’opinion publique. Au fond, et pour ceux qui connaissent les grands courans intellectuels du siècle, les directions principales des idées, contrairement à ce que l’on entend affirmer chaque jour, M. Cousin n’a pas créé d’école. Maine de Biran en a créé une, qui vit encore; Jouffroy en a créé une. M. Cousin n’a pas eu d’école, parce qu’il n’a pas eu un système qui lui fût propre. Après avoir erré curieusement sur les frontières de l’école écossaise, qui venait d’être révélée à la France par M. Royer-Collard,