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LES LÉGENDES DE L’ALSACE.

de nobles jeunes filles leur avaient souri d’une fenêtre comme à l’espoir de la patrie ! Que sont-ils devenus ? Ils dorment sous la terre. Ils ont sauvé l’armée !

C’est assez évoquer le passé… c’est trop se souvenir !… Nous touchons à la fin de notre pèlerinage. Pour l’achever, allons saluer la colline où reposent ces braves. En sortant du village de Morsbronn, on gagne le sommet d’un vignoble. Sur la hauteur s’élève une pyramide de grès dont la base est flanquée de quatre boules de fer et qui domine la plaine. C’est le monument consacré aux cuirassiers dits de Reichshoffen, Sur les deux côtés sont inscrits les noms d’une série de régimens français. Sur la façade est gravée l’inscription suivante :

MILITIBUS GALLIS
HIC INTEREMPTIS DIE 6 AUGUSTI 1870
DEFUNCTI ADHUC LOQUUNTUR
EREXIT PATRIA MOERENS

Découvrons-nous en présence de cette pierre qui regarde l’Alsace et que dore le soleil couchant. Car ceci est encore la France, et ceux qui sommeillent autour ne sont pas des vaincus. Ils ont passé le mauvais pas et remporté la grande victoire. Defuncti adhuc loquuntur ! Les morts parlent encore ! Il nous semble, en effet, que leur voix sort du monument et nous dit : « Oui, la France est ici, dans nous qui veillons, dans ceux qui espèrent. Si vous voulez reconquérir ce que vous avez perdu, soyez non des enfans, mais des hommes. Les nations périclitent par la légèreté, par la mollesse, par l’égoïsme ; elles vivent par le sérieux, par la discipline et le dévoûment. Le marbre dont se bâtit le temple invisible de la patrie se nomme conscience et volonté. Cette divinité auguste n’a de refuge inexpugnable que dans les âmes fortes, où vit le culte du passé avec la foi en l’avenir. Elle peut se voiler ou disparaître dans les tempêtes de l’histoire, mais elle renaîtrait du néant même par les cœurs fermes et par les grands courages. »

Édouard Schuré.