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sades, il eût été templier ou chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Sous la première république, il devint le modèle du général de brigade, prouvant en toute occasion que le bon soldat n’est fait ni d’entraînement ni de colère, mais de sang-froid et d’intrépidité. En Égypte, où il se vit face à face avec les mameluks, il organisa ces fameux carrés d’infanterie qui, dans les batailles de l’empire, résistèrent si bien aux charges de cavalerie. Desaix eut la modestie dans la force, l’énergie dans l’abnégation. Il rechercha toujours le second rang et s’y conduisit comme au premier. Il est resté cher aux Alsaciens à cause de sa fameuse défense du fort de Kehl. Il s’y jeta avec une petite troupe, et, n’ayant pas de canons, commença par en prendre aux Autrichiens. Exténué par la famine et menaçant de se frayer une route à travers les assiégeans, il obtint de se retirer avec les honneurs de la guerre. Quand les Autrichiens entrèrent dans le fortin, ils ne trouvèrent que des tas de terre. Leurs canons avaient tout démoli, mais les assiégés étaient sortis les armes à la main. Frappé mortellement à Marengo, au début de cette première grande bataille qu’il fit gagner au premier consul et craignant que sa mort ne décourageât les siens, il dit simplement à ceux qui l’emportaient : « N’en dites rien. » Lorsqu’aujourd’hui nous voyons sa statue sur la route de Strasbourg à Kehl gardée par un factionnaire allemand, nous sommes tenté de nous écrier à notre tour : « Ne le lui dites pas. »

La statue de Desaix, qui rêve tristement entre les peupliers du Rhin, nous fait penser à celle de son ami Kléber debout sur la place d’armes de Strasbourg dans sa fière attitude. Ce bronze est le chef-d’œuvre de Grass, un artiste alsacien de haute distinction, et Kléber est le fils chéri de Strasbourg. L’Alsace a donné nombre de braves soldats à la France ; celui-ci est son héros. « Tout, dans cette figure, dit son biographe Desprez, est large et plein, les traits forts, les yeux grands, la bouche grande, les couleurs hautes, les cheveux épais et bouclés ; la vie y circule abondante et à l’aise. » Le fait qui décida de sa carrière le peint tout entier. Il était architecte à Belfort. La révolution éclatait. Les officiers de Royal-Louis, ne voulant pas reconnaître les nouveaux magistrats, marchèrent contre eux avec leurs troupes. Voyant cela, Kléber, le sabre en main, couvre les magistrats de son corps, harangue les soldats en soldat, arrête l’insurrection. Peu après il fut nommé adjudant-major dans le deuxième bataillon du Haut-Rhin. Tel nous le voyons dans cette circonstance, tel il fut toujours : brave, fougueux, emporté pour la justice et toujours prêt à la défendre, à lui tout seul, de sa large poitrine. Il ne trouvait toute sa lucidité que dans le danger. Aussi aimait-il à s’y jeter. Au siège de Mayence, en Vendée, sous les