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d’aller remplir leurs devoirs belliqueux. Il y a des services publics qui ne sauraient chômer, même en temps de guerre. L’enseignement en est un. Par conséquent, il est absurde de permettre aux instituteurs de jouer aux soldats dans des congrès grotesques où ils font parade de sentimens qu’au fond du cœur ils n’éprouvent en aucune manière, et qui n’ont d’autre raison d’être que de montrer leur supériorité sur les curés, trop sincères pour se livrer à la même comédie.

Cette question de la durée du service devrait être traitée uniquement à deux points de vue : au point de vue de l’intérêt de l’armée et au point de vue des grands intérêts de la civilisation qu’un pays comme la France ne peut pas abandonner. En ce qui concerne le premier, il est de toute évidence que le service de trois ans ne saurait avoir que des effets détestables. En réalité, il se changera en service de trente mois, car ce n’est un secret pour personne que l’appel de la classe se fait toujours en retard et que l’instruction des troupes est toujours suspendue entre le départ d’une classe et l’arrivée de celle qui la suit. Il se changera même dans la pratique, pour un grand nombre d’hommes, en un service inférieur à trente mois. Les calculs au moyen desquels on espère faire passer une classe tout entière sous les drapeaux sont faits, en effet, d’après les chiffres actuels du budget. Et personne n’ignore également que ces chiffres n’ont jamais suffi aux dépenses improvisées et qu’il a fallu, pour y faire face, user de congés parfaitement arbitraires. Ce qui a eu lieu dans le passé pour le service de cinq ans, qui jamais n’a été effectif, aura lieu à l’avenir pour le service de trois ans, qui ne le sera pas davantage. L’instruction générale de nos soldats en souffrira et les principes ne seront pas saufs. Le seul résultat qu’on aura obtenu, c’est de faire glisser rapidement notre armée sur cette pente fatale que signalait M. de Goltz, où roulent les masses affaiblies et indisciplinées et au terme de laquelle est le système militaire chinois. Tandis que la prudence, l’habileté, la prescience de l’avenir auraient dû nous porter à réagir contre les dangers inévitables du service universel, nous sommes les premiers à les exagérer. Nous ne nous bornons pas à imiter l’Allemagne, nous voulons la dépasser. Le service universel est fortement mitigé chez elle par le volontariat d’un an; chez nous, il ne doit pas subir la plus légère restriction; il doit être poussé à outrance jusqu’à ce que notre armée ne soit plus qu’une de ces gardes nationales impuissantes qu’un Alexandre, d’après M. de Goltz, disperserait en un combat, et qu’un général plus médiocre mettrait tout au plus une campagne à anéantir.

Mais ce n’est pas tout, et si l’on considère les intérêts du pays après ceux de l’armée, le service universel de trois ans devient encore plus