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ses visions d’azur et de feu. Peu de cathédrales rendent aussi largement le vaste symbolisme de l’église catholique. L’histoire sainte et l’histoire profane, celle-ci sous forme de monarques, debout dans les lancéoles, se déroulent sur les ogives des nefs latérales. Plus haut, au-dessus de la claire-voie de la grande nef brillent les vertus théologales, les martyrs, les saints, les vierges armées de lances et de flambeaux. C’est l’église triomphante au-dessus de l’église militante. Enfin, la grande rose de la façade rayonne à l’intérieur de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; c’est la rose mystique, symbole de l’éternité.

Nous ne savons plus aujourd’hui les efforts qu’a coûtés l’achèvement de cet édifice ; tout le pays y travailla pendant des siècles, La tradition a conservé le souvenir de l’année 1275, où l’évêque Conrad de Lichtenberg fit commencer la grande façade. Il obtint l’argent et les travailleurs à force d’indulgences. Avec un denier dans la caisse de Notre-Dame ou un bloc de pierre pour la cathédrale, on obtenait le pardon de tous les péchés. Aussi, comme on accourait ! Ceux qui n’avaient rien offraient leurs bras, se précipitaient à la corvée ; c’était un délire, une furie de travail. Pendant des années la presse des chariots, traînant des pierres de taille depuis les carrières de Wasselonne au faubourg de pierre, ne discontinua pas. Sur le chantier de construction, les prédications fanatiques se mêlaient au grincement des poulies, au hennissement des chevaux. Des milliers de poitrines se ruaient, criaient et râlaient sous le poids de la pierre. Mais le dôme grandissait et l’évêque pouvait le comparer « à une fleur de mai qui monte au ciel toujours plus haute et plus florissante. »

Que sont-ils devenus, les tailleurs de pierre, apprentis, compagnons, appareilleurs, les maîtres nombreux qui ont travaillé à la grande merveille ? Il ne nous reste que les statuts de leur corporation dont la hiérarchie et le symbolisme ont servi de cadre aux francs-maçons. Leurs haines, leurs rivalités se sont fondues dans le vaste édifice où les démons sont terrassés par les anges. Ce peuple d’architectes et de sculpteurs ne nous a légué que son épopée de pierre. Si nous demandions à savoir quelque chose de leur vie, de leur destinée, de leurs passions, ils répondraient tous ces mots qu’on lit sur une pierre tombale du dôme : « Si tu demandes qui je suis, je te réponds : Ombre et poussière. » Quelques noms surnagent, mais ce ne sont guère que des noms. La légende les a tous confondus dans cette poussière des siècles où dorment tant de gloires éphémères, pour ne se souvenir que du maître qui a conçu « la glorieuse façade » et honorer en lui la pensée maîtresse de l’œuvre. Selon la légende de Cologne, la cathédrale de cette ville fut construite avec l’aide du diable, que l’architecte rusé frustra ensuite de son