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repoussent comme ayant été joueur de violon et maître de danse[1]. »

Les corps judiciaires les plus élevés n’échappent pas aux conséquences du commerce dont ils sont l’objet. Le premier président du parlement de Guyenne rend compte (24 novembre 1691) des difficultés que présente la vente des charges créées, à l’occasion de la translation du parlement de La Réole à Bordeaux : « Le fils de M. d’Alesme, écrit-il, est en fuite pour avoir tué son père. M. Duval est dans la meilleure volonté, mais dans une impuissance qu’il ne peut vaincre ; on ne peut compter sur ces deux-là. — Je suis revenu à M. le président de La Tresme, dont le fils a déjà pris quelqu’engagement dans l’épée, et qui d’ailleurs a l’étude nécessaire pour être conseiller… Nous l’avons déterminé. Le reste consiste à trouver de l’argent : il en cherche, on en cherche pour lui ; mais c’est chose rare ici. — Je n’en suis pas resté là : le président Lalanne a un fils qui sort du collège et étudie en droit à Paris. Je lui ai proposé de faire cette acquisition ; il a répondu que son fils était un écolier, qu’il avait vingt et un ans, que cet âge non plus que ses affaires ne lui permettaient pas d’y songer ; il a répondu aussi par la disette d’argent. J’ai répliqué par l’intérêt de sa famille et le service de Sa Majesté. Si la qualité d’écolier n’est pas un obstacle et que le roi veuille donner une de ces charges pour 35,000 livres, vous pouvez y compter. Il y a même des raisons de croire que cet exemple pressera M. de La Tresme, auquel cas ce seroit une affaire finie, et le roi auroit encore 10,000 livres au-delà des 300,000. » Deux ans auparavant, le contrôleur-général avait déjà fait connaître au premier président du parlement de Bretagne, « qu’il avoit enfin obtenu que le chancelier ne refuseroit plus aucune dispense d’âge, ni de parenté, et même à l’égard des études, ce qui étoit plus difficile, il se réduit à demander six mois à ceux à qui il manquera le plus de temps. Sur ce pied, ce qui nous reste de charges ne doit pas être difficile à débiter[2]. »

Au surplus, — et ce trait achèvera de caractériser la déplorable faiblesse du gouvernement, — les ministres sont les premiers à condamner leurs actes. Si leurs lettres ne nous avaient pas été conservées, qui pourrait croire aujourd’hui que Pontchartrain écrit au premier président du parlement de Paris, M. de Harlay :

« Le 3 mars 1691. — Voicy deux édits à qui j’ai mis la dernière main depuis vous avoir écrit ce matin. Je vous supplie de les voir. La marchandise est si bonne qu’elle est vendue avant d’être créée ;

  1. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 806, 926 et note.
  2. Ibid., t. I, no 1013 et 1301.