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établissent de leur pure autorité. Il importe, pour le bien du service, de ne pas laisser aux traitans la liberté entière de ces garnisons… » Cependant le contrôleur général se garde bien d’interdire aux traitans l’emploi de ce moyen violent de contrainte ; il s’en rapporte à la prudence des intendans du soin de « leur permettre de s’en servir dans les occasions où il sera nécessaire pour assurer les recouvremens[1]. »

Les traitans avaient droit, pour rémunération de leurs services, à un sixième de la somme qu’ils versaient au trésor : c’était leur remise en dedans, et, en outre, à une remise en dehors de 2 sous pour livre que payaient ceux avec lesquels ils avaient traité, en sus de leur finance : plus de 26 pour 100. Toutefois ces allocations n’avaient rien de fixe ; quelquefois ils avaient plus, et quelquefois moins. De 1689 à 1708, pour 644,600,000 livres de finances, ils touchèrent 90,100,000 livres de remises en dedans, et 51,100,000 livres de remises en dehors ; en tout, 141,200,000 livres, tandis que le trésor encaissa 554 millions de livres : leurs commissions furent donc de plus de 25 pour 100[2]. Des bénéfices si considérables ne pouvaient rester inaperçus : sans doute ils n’étaient que le résultat de conventions librement acceptées, et toujours même recherchées par l’état ; mais cette considération n’avait pas alors la valeur qu’elle aurait aujourd’hui. Les traitans furent en conséquence, en 1701, imposés à une taxe spéciale de 24 millions, « Bien que cette taxe fût juste et modérée, dit Forbonnais[3], elle n’était pas opportune. C’est quand on est résolu à se passer des traitans et qu’on a les moyens de le faire, qu’on peut réclamer contre le prix excessif qu’ils ont mis à leur argent : ils trouvèrent le secret de se dédommager amplement. »

Si, au point de vue pécuniaire et financier, les créations et les ventes d’offices ne peuvent être justifiées, elles sont plus déplorables encore au point de vue administratif et moral. L’institution et la distribution des fonctions publiques ne sont plus qu’un commerce : les expressions qui deviennent de style dans la correspondance officielle du contrôleur-général et des intendans en fournissent la preuve, aussi curieuse qu’irrécusable.

Au mois de novembre 1689, l’établissement d’un présidial au Puy a été résolu, et Pontchartrain écrit à l’intendant du Languedoc : « Il ne reste plus que de savoir si on débitera ces offices en détail ou si ce sera par traité, si on les débitera, dès à présent, au profit du

  1. Correspondance du contrôleur-général avec les intendans, t. I, no 1471, t. II, no 816.
  2. Comptes de Mallet, p. 106 et 108.
  3. Recherches sur les finances, t. II, p. 122.