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pour ménager les particuliers auxquels ils sont redevables de leur emploi et ceux qu’ils prévoient devoir leur succéder, ont surchargé les autres habitans des villes, et surtout ceux qui leur ont refusé leurs suffrages ; » et il établit en titre d’office héréditaire, en chaque ville et communauté, excepté à Paris et à Lyon, « un conseiller maire » qui jouira des honneurs et des émolumens dont les maires anciens ont toujours joui et de nouveaux privilèges qu’il accorde ; il crée en même temps des assesseurs des prévôts des marchands de Paris et de Lyon, et des maires des autres villes, et ordonne qu’à l’avenir la moitié des échevins, jurats, capitouls seront élus parmi ces assesseurs. On ne sait pas ce que furent vendus ces offices ; l’intendant du Languedoc écrivait le 28 décembre : « Les soumissions pour les charges de maires s’élèvent déjà à plus de 800,000. » Quelques villes essayèrent aussitôt d’obtenir, à force d’argent, sinon la révocation, du moins la modification du nouveau système. Dijon offrit 100,000 livres pour le rachat de l’office de maire et 50,000 pour celui des offices d’assesseurs ; ce qui fut accepté. Les consuls de Toulon demandèrent à acheter les charges municipales créées dans cette ville, et l’intendant de Provence leur proposa déverser 130,000 livres, « moyennant quoi on leur donnerait gratis ces charges ; » mais la négociation échoua.

Cependant, en 1714, après le traité d’Utrecht, le roi, reconnaissant que les ventes des charges municipales « n’avaient pas eu dans les derniers temps le succès qu’il s’en était promis, » non-seulement supprima celles qui restaient à vendre ou à réunir, rendant aux communes la liberté de les faire exercer par ceux qu’elles voudraient nommer, mais il leur permit de déposséder les acquéreurs et titulaires des offices déjà vendus, « en les remboursant toutefois en un seul et même paiement de ce qu’ils auront payé, tant en principal qu’en frais et loyaux coûts. » — L’état conserve les sommes qu’il a reçues et exige qu’elles soient rendues par les villes et les communes à ceux qui les ont payées.

En même temps que le trésor exploitait ainsi à son profit le trafic des fonctions de l’état et de celles des municipalités, il s’adressait aux professions commerciales et industrielles pour les réglementer et les monopoliser entre les mains d’une foule d’officiers auxquels elles n’échappaient qu’en s’imposant elles-mêmes un sacrifice pécuniaire considérable. « On créa, dit Voltaire, des charges ridicules, toujours achetées… Ainsi on inventa la dignité de conseillers du roi rouleurs et courtiers devin, et cela produisit 180,000 livres. Ou inventa des conseillers du roi contrôleurs aux empilemens de bois, des conseillers de police, des charges de barbiers-perruquiers, des contrôleurs-visiteurs de beurre frais, des essayeurs de beurre salé. Ces extravagances font rire aujourd’hui, mais alors elles faisaient pleurer. »