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nous achèterions ses produits ; mais au moment même où nous affirmions l’intention d’aller lui faire concurrence sur les mers, nous menacions de relever entre elle et nous les barrières commerciales qui nous ont si longtemps et si malheureusement séparés. De là, chez cette nation de marchands, les colères qui éclatent sans cesse contre nous. Et nous nous sommes brouillés avec l’Angleterre, pourquoi ? Pour porter à nos propres industries un sérieux dommage en refusant de leur accorder la liberté plus grande dont elles ont besoin afin de se développer à l’aise. Naturellement, après avoir refusé de faire un traité de commerce avec l’Angleterre, nous n’avons pas songé à en négocier avec d’autres puissances chez lesquelles il serait pourtant si avantageux pour nous de trouver des débouchés moins étroits. Je citerai en première ligne les États-Unis, la grande république américaine, que la conformité des mœurs politiques, aussi bien que celle des intérêts devrait aujourd’hui rapprocher de nous. Les États-Unis sont en ce moment et deviendront de jour en jour un des plus admirables ou plutôt le plus admirable marché du monde. Qu’on songe que ce pays reçoit chaque année des millions d’habitans adultes dans toute la force de la production ; qu’il dispose de A ou 5 millions de kilomètres carrés de terres sur une superficie totale de 7,440,000 à peu près inexploités, soit encore à mettre en culture huit fois l’étendue de la France ; que son commerce extérieur, qui est déjà de 7 milliards 1/2 à 8 milliards, soit presque exactement les chiffres du commerce français, atteindra 20 milliards à la fin du siècle et peut-être 50 milliards dans cinquante ans ! Et cependant, que faisons-nous pour attirer à nous une part des trésors prodigieux prêts à surgir de ce territoire privilégié ? Rien, absolument rien. Nos hommes d’état, qui inventent de nouvelles formes de socialisme d’état afin de venir en aide à la classe ouvrière, ne s’aperçoivent pas qu’ils la sauveraient bien plus sûrement s’ils cherchaient à faire des États-Unis un client de la France. Ils préparent, sous des noms déguisés, des ateliers nationaux, et ils ne tentent rien pour abaisser les tarifs sans lesquels des flots de richesses couleraient dans nos ateliers et dans nos industries privées !

« Les États-Unis, a dit M. Paul Leroy-Beaulieu, tiennent le premier rang sur le tableau des pays importateurs en France, mais ils ne viennent qu’au quatrième et pour une somme relativement bien modique sur le tableau des pays où nous exportons. En 1880, d’après l’Annuaire de statistique, de M. Maurice Block, nous avons importé des États-Unis pour 731 millions de francs de marchandises, et nous y avons exporté pour 332 millions seulement, tandis que la petite Suisse, avec ses 3 millions d’habitans, nous achète pour 220 millions de marchandises. Ainsi un Suisse (il y en