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de la Flandre avec Lille ; la Franche-Comté, l’Artois et le Roussillon. La France sort de cette terrible épreuve affaiblie, mais non humiliée.

Ce n’est pas seulement la fortune de la guerre qui trahit la vieillesse du grand roi. « À peine respirait-il d’un danger si funeste, — écrit Saint-Simon de sa plume inimitable[1], — qu’il voit périr sous ses yeux son fils unique, une princesse qui seule faisoit toute sa joie, ses deux petits-fils, et périr de manière à le percer des plus noirs soubçons, à lui persuader de tout craindre pour luy mesme, et pour l’unique rejeton qui lui restoit d’une si nombreuse et si belle postérité. — Parmi des adversités si longues, si redoublées, si poignantes, sa fermeté, c’est trop peu dire, son immutabilité demeura toute entière ; mesme visage, mesme maintien, mesme accueil, pas le moindre changement dans son extérieur ; mesmes occupations, mesmes voyages, mesmes délassemens, le mesme cours d’années et de journées, sans qu’il fut possible de remarquer en lui la plus légère altération. Ce n’étoit pas qu’il ne sentit profondément l’excès de tant de malheurs ; ses ministres virent couler ses larmes, son plus familier domestique intérieur fut témoin de ses douleurs… Un courage masle, sage, supérieur, luy faisoit serrer entre ses mains le gouvernail parmi ces tempêtes… C’est le prodige qui a duré plusieurs années, avec une égalité qui n’a pas été altérée un moment, qui a esté l’admiration de sa cour et l’estonnement de toute l’Europe… »

On ne rencontre pas dans l’administration intérieure de Louis XIV, et surtout dans la conduite de ses finances, de moins grandes vicissitudes que dans sa diplomatie et dans ses opérations militaires. Sous le gouvernement de Mazarin et l’administration du surintendant Fouquet, la dilapidation des deniers royaux, l’absence ou la violation de toutes les règles protectrices de la fortune publique, avaient causé la ruine de l’état. Louis XIV a écrit dans ses Mémoires : « Je commençai à jeter les yeux sur toutes les diverses parties de l’état, et non des yeux indifférens, mais des yeux de maître, sensiblement touché de n’en voir pas une qui ne méritât et ne me pressât d’y porter la main… Le désordre étoit partout… Les finances qui donnent le mouvement et la vie à tout ce grand corps de la monarchie étoient entièrement épuisées, et à tel point qu’à peine y voyoit-on de ressource[2]. »

Mais si Mazarin, par sa faiblesse ou son aveuglement se fit le complice des désordres de Fouquet, il répara sa faute, à sa mort, en donnant Colbert au roi pour contrôleur-général de ses finances.

  1. Saint-Simon, Parallèle entre les trois premiers rois Bourbons, publié en 1880 par M. P. Faugère, page 89.
  2. Mémoires de Louis XIV, publiés par Ch. Dreyss, tome II, page 375.