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ou moins cher qu’un autre. Le socialisme d’état et le radicalisme politique ayant pour conséquence d’élever sans cesse la main-d’œuvre, ont aussi pour résultat de tuer lentement la poule aux œufs d’or. Ils réduisent nos industries à l’impuissance. Or à quoi nous servirait de créer de nouveaux débouchés sur tous les points du globe, si c’était à des rivaux et non à nous que nous les ouvrions ?

Mais la main-d’œuvre n’est pas tout; il y a aussi les matières premières sur lesquelles elle s’exerce. Une nation qui veut conserver un grand commerce doit avoir un tarif libéral ; elle doit sinon pratiquer le libre-échange, du moins s’en rapprocher d’aussi près que possible. Dans l’état actuel du monde, avec le goût qui prévaut pour les marchandises à bon marché, une nation ne peut beaucoup exporter qu’à la condition d’avoir des frais de production réduits et de pousser ses industriels à des perfectionnemens constans par la concurrence de l’étranger. Il faut qu’une nation qui veut conserver un grand commerce sache se procurer à bon marché le fer, la houille, les matériaux, les filés, toutes les matières premières, tous les articles manufacturés à demi élaborés. Or notre politique commerciale a agi, depuis quelques années, au rebours de nos véritables intérêts. Au lieu d’assurer à la France laborieuse le calme, la stabilité et la liberté commerciale dont elle avait un si grand besoin, elle a remis en question les progrès accomplis jusqu’ici, et les tendances protectionnistes auxquelles elle a cédé nous ont nui doublement : d’une part, plusieurs de nos industries d’exportation, par exemple les rubanneries de Saint-Étienne, les tissages de Tarare et de Saint-Pierre-lès-Calais ne peuvent plus se procurer, dans des conditions favorables, la matière première de leur travail, à savoir les filés ; d’autre part, la propagande protectionniste faite en France a trouvé des adeptes à l’étranger; nous avons encouragé les Italiens, les Allemands, plusieurs états de l’Amérique du Sud, sans parler de l’Amérique du Nord, à relever leurs tarifs et, par conséquent, à rendre plus étroits les débouchés de nos produits au dehors.

Une des plus grosses fautes de nos gouvernemens en ces dernières années est, à coup sûr, la rupture des négociations sur le traité de commerce avec l’Angleterre. Ç’a été la manifestation la plus éclatante de la politique commerciale décousue et imprudente qui porte une si sérieuse atteinte à nos intérêts. En outre, cette malencontreuse mesure a contribué plus que tout le reste peut-être à soulever de l’autre côté de la Manche les haines mesquines, les jalousies violentes dont nous avons été depuis un an les témoins attristés. Peu importerait à l’Angleterre que notre commerce s’accrût, que notre richesse publique doublât, si nous lui ouvrions largement notre marché; car, plus nos ressources croîtraient, plus