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ruineuses ou en travaux de luxe inutiles, qu’on exécute uniquement pour donner du pain aux travailleurs protégés par l’état. Le pays dévore ainsi sa propre substance, sans s’assimiler aucun élément étranger, jusqu’à ce qu’il tombe enfin d’épuisement et de misère.


III.

On voit donc combien nos mœurs politiques actuelles et les idées gouvernementales répandues parmi nous risquent d’être fatales au mouvement d’expansion coloniale qui s’est dessiné dans la nation et qui pourrait seul, en se développant, assurer à notre pays un avenir prospère. La politique commerciale que nous avons suivie depuis quelques années a eu aussi des conséquences très fâcheuses et menace d’en avoir de plus fâcheuses encore. Personne n’ignore que notre commerce extérieur est, sinon en décadence générale, du moins dans une sorte de stagnation des plus décourageantes. Plusieurs de ses branches importantes sont atteintes ou compromises : la rubannerie, par exemple, la mercerie et diverses industries parisiennes. Il est certain qu’une des causes principales d’un état de choses si malencontreux doit être cherchée dans le progrès des idées avancées et dans le socialisme d’état dont je parlais tout à l’heure. La main-d’œuvre est devenue chez nous plus chère que partout ailleurs ; les ouvriers, se sentant assurés de la protection ou de la connivence d’en haut, ont élevé leurs exigences de la façon la plus exagérée : les salaires sont exorbitans, et à mesure qu’ils grandissent, les heures de travail diminuent. A chaque instant éclatent les grèves les plus malheureuses. Est-il besoin de rappeler toutes celles auxquelles nous avons assisté cette année? Elles rendent à nos industriels et à nos fabricans la concurrence avec l’étranger presque impossible. Ils ne sauraient produire à aussi bon marché que lui, et, grâce aux conditions nouvelles de la vie moderne, c’est le bon marché qui l’emporte partout. Nous n’avons plus affaire, comme autrefois, à un petit nombre de cliens choisis, d’un goût très difficile et possédant une richesse suffisante pour satisfaire toutes les délicatesses de leur goût, mais à des masses bourgeoises cherchant surtout à jouir vite, aux moindres frais possible. Aussi sommes-nous distancés par nos voisins, dont le travail est moins pur, mais aussi moins coûteux que le nôtre. Il faut quelquefois un œil bien exercé pour distinguer la différence de leurs produits avec les nôtres; entre l’à-peu-près et la perfection, la nuance est presque insaisissable pour les acheteurs modernes, tandis que tout le monde comprend d’emblée si un objet est plus