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délivrer. Enfin l’apparition d’une tête sanglante au bout d’une pique « fait naître une sorte de calme rempli de stupeur[1] ; » les propositions partent de la foule et le désordre s’organise. Il est sept heures du soir : on allume les lampes, on débarrasse les gradins inférieurs, les députés y viennent prendre place, on convient de voter en levant les chapeaux, et Romme prend la parole pour demander d’abord que les patriotes incarcérés soient immédiatement élargis. Étrange idée qui lui est passée là par l’esprit, car, par où débuterait-il s’il était le chef reconnu de l’insurrection victorieuse? A partir de ce moment, aussi bien, lui et ses amis sont maîtres de la situation; ils se succèdent à la tribune; l’une après l’autre on vote leurs propositions; des huées couvrent la voix de ceux qui les discutent; on casse le comité de sûreté générale; Prieur, Duquesnoy, Duroy, Bourbotte, sont chargés d’aller s’emparer de ses papiers, et la journée semble finie. Mais, comme ils veulent sortir, ils se heurtent à une troupe; c’est la section de la Butte-des-Moulins, suivie de la section Lepelletier, qui vient enfin dissiper ce qui reste encore de la foule et rendre à la convention sa liberté suspendue depuis douze heures. Il est minuit : en quelques secondes, les vaincus du soir sont devenus les vainqueurs du matin. Sans désemparer, ils usent de la victoire à leur tour, et dans la même séance, entre quatre et cinq heures du matin, Romme, Soubrany, Duquesnoy, Duroy, Bourbotte et Goujon, décrétés d’arrestation, sont jetés en voiture pour une destination inconnue. Transportés à petites journées au fond de la Bretagne, ils n’en devaient revenir que pour être jugés, condamnés et exécutés.

Si nous avions sur les cinq autres ce que nous devons à M. de Vissac de renseignemens sur le premier, nous ne serions pas en peine de nous faire une idée vraie de l’insurrection de prairial. En effet, les patriotes incarcérés dont la première parole de Romme avait été pour demander l’élargissement immédiat, c’étaient d’abord : Collot d’Herbois, Barère, Billaud-Varennes, Vadier, mis en jugement depuis déjà plus de deux mois (12 ventôse an III), et c’étaient ensuite les montagnards décrétés d’arrestation au lendemain du 12 germinal : Amar, Duhem, Ruamps, Léonard Bourdon, etc. Or, l’insurrection du 12 germinal, préparatoire de celle du 1er prairial, faite au même cri : Du pain et la constitution de 1793! avait eu pour principal objet d’interrompre le procès que la convention instruisait contre Collot, Barère et Billaud. Si donc il n’y a pas de doute sur le caractère de l’insurrection de germinal et s’il y faut voir une tentative du parti jacobin pour ressaisir

  1. J’emprunte cette expression, comme aussi la plupart des traits de ce résumé rapide, au dramatique et vivant récit que nous a donné de l’insurrection de prairial H. Jules Claretie, dans son livre intitulé : les Derniers Montagnards. Paris, 1867.